Chahinez 10/09/2015

Chère France, sous mon voile je souffre…

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Enfant de la France et musulmane, je me bas, avec ma plume, pour montrer que les deux ne sont pas incompatibles. Mon voile fait partie de moi.

Chère France,

Si je me suis décidée à noircir cette feuille aujourd’hui, c’est que je souffre. Je suis française. Je le suis sur le papier et je le suis au plus profond de moi. J’ai grandi sur ton sol, fréquenté ton école, je me suis rêvé un avenir dans tes bras, imaginé des projets, bâti un futur. Oui, mais voilà, je suis musulmane. Et comme il n’était pas bon être juif il y a 70 ans, il n’est pas bon être musulman aujourd’hui. Alors oui, il est vrai que depuis une dizaine d’années, sous couvert de l’Islam, certaines personnes ont commis des choses horribles. Mais ils ne sont pas l’Islam eux. Et je ne suis pas eux moi. Pourtant, je paie pour leurs crimes. Chaque jour, c’est une humiliation supplémentaire et un acharnement médiatique que je subis. Musulman, islamiste, extrémiste, salafiste, jihadiste, terroriste, barbare… Tous les jours, ces mots sont juxtaposés, entremêlés, regroupés, remplacés les uns par les autres. Et même moi, j’ai du mal à les discerner. Je suis musulmane, point. Je suis française aussi. Mais aux yeux des gens, que suis-je ? Est-il possible que je sois étrangère dans mon propre pays ?

« Le voile, ce n’est pas la liberté, c’est la soumission »

Ma très chère France, je dois te faire une confidence, je suis voilée. Et c’est encore un autre problème, plus grave encore je crois. Je sais ce que tu vas me dire… Que je creuse ma propre tombe, que je donne le bâton pour me faire battre. Peut-être même que, comme tes enfants, tu vas me demander si je suis soumise, si mon père, mon mari, mon frère, mon cousin, mon oncle ou je ne sais qui m’a forcée. Je connais ces arguments par cœur. Je les entends tous les jours. On me dit que c’est une honte, que des femmes se sont battues et se battent encore pour que je sois libre, pour que je m’habille comme je le souhaite. On me dit que je devrais faire honneur à leurs combats. C’est ce que je fais. Avec un voile sur la tête. « Oui, mais non » me dit-on, « le voile, ce n’est pas la liberté, c’est la soumission ».

Et c’est là que je ne comprends plus rien chère France. Ces mêmes personnes qui revendiquent haut et fort le droit des femmes dans tous les domaines veulent m’interdire aujourd’hui une tenue vestimentaire. Il y a quelques années, le monde entier regardait avec horreur l’Afghanistan et ses talibans qui forçaient les femmes à porter une burqa. Je faisais partie de ces gens, incapable de comprendre ou d’imaginer qu’on puisse décider pour elles. Puis je l’ai vécu. Obligée de me dévoiler pour me rendre au lycée. M’est alors revenu ce souvenir afghan. Quelle différence y a-t-il alors entre ces talibans qui forcent la femme à se couvrir et l’État français qui me force à me découvrir ?

Je continue de me battre… voilée

France, je suis une de tes enfants moi aussi. On aime ses enfants quoi qu’il arrive, non ? Alors oui, je suis musulmane et voilée, mais je suis avant tout ton enfant. Et pourtant, tu me laisses sur le bas-côté, ignorant mes problèmes, mes envies, mes larmes, mes ambitions. Ignorant même mon amour pour toi. Tu laisses tes enfants me mettre en marge de la société, me traiter comme une pestiférée, m’empêcher de travailler. Sous mon voile, je suis là, des rêves plein la tête et j’aimerais que tu me voies, que tu me reconnaisses, que tu m’acceptes comme je suis.

J’avais ce rêve depuis petite, je voulais être journaliste. Mais dès mes premières demandes de stage, on m’a expliqué gentiment qu’il fallait que j’arrête de me voiler la face, que ce hijab serait un sérieux handicap dans mes ambitions. Que nenni, je ne baisse pas les bras aussi facilement. J’ai séché mes larmes et je me suis battue. Et j’ai appris une chose dans mon combat, tu es complexe. Derrière tes grands airs de France républicaine un peu prétentieux, tu te contredis. A côté des grands discours contre le communautarisme, on me pousse à me diriger vers « ma communauté ». La Provence, Le Monde ou Libération ne m’accepteront jamais, mais j’ai ma chance avec Gazelle ou Échos d’Orient.

Je ne t’écris pas pour me plaindre, je continue de me battre chaque jour. Je tiens un blog pour réaliser ma passion et je cherche du travail pour vivre. N’importe quel travail. Moi et ma licence, on essaye de se trouver une place, mais là encore le chemin est plein d’obstacles. Je crois que je fais peur alors les seuls métiers auxquels je peux rêver sont ceux où personne ne me verra, en télétravail. Je ne te représente pas assez apparemment. Et pourtant, je suis française à temps plein. Je te le dis au cas où tu en douterais encore. Maintenant, dis-le à tes enfants, crie-le fort, répète-leur, fais-leur comprendre parce que moi, ils ne m’écoutent pas.

Chahinez, 27 ans, rédactrice web et blogueuse, Marseille

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4 réactions

  1. Que j’aurais aimé avoir la grâce de ta plume pour te répondre ! Mais non, je ne l’ai pas. Ton texte est vraiment très beau et magnifique de sincérité. Je pense à la chance de pouvoir lire un jour dans un journal au hasard, un autre texte signé : Chahinez…

    Pour te dire : « courage ! », je voudrais te dire que tu as tort, que la France n’est pas comme ça, que les Français ne sont pas tous comme cela ! Mais dans ton texte, le plus souvent tu as raison. Alors, le constat est amère : l’ambition politique de certains, la méchanceté de quelques-uns, la bêtise de groupe, et la lâcheté de la masse… laissent sur les idées pures de vilaines traces ! Mais un jour, un texte comme le tien permet de remettre les grandes idées à leur place.

    Nos politiques devraient parfois vérifier si chacun de leurs textes de lois, et leurs discours respectent bien cette idée simple : Etre français, c’est veiller sur trois petites flammes mal assurées : La liberté, l’égalité et la fraternité !

  2. Dans l’impossibilité de m’adresser directement à la rédactrice de cet article, je vous demande juste de faire passer tous mes applaudissements à celle qui a pu écrire, sans haine ni démagogie, la vérité sur notre pays. J’admire son calme devant une marée politique et médiatique qui dénigre les musulmans, puis fait l’amalgame avec arabe et terroriste. En outre, je déplore avec elle ce nouveau discours d'”identité française” sans piper mot quant à sa définition. Je suis enfin dégouté devant l’instrumentalisation de la loi de 1905 sur la laïcité, qui fait d’elle non plus un outil de séparation Etat-religion, mais bien des outils de neutralité puis, dans un second temps, de discrimination.
    Sa plume explique cela merveilleusement bien, ses idéaux montrent, je crois, que les jeunes réfléchissent encore.

    Théo, étudiant à McGill (Montréal)

  3. Merci pour ces mots vrais et forts! C’est une souffrance partagée par tant de francaises et pourtant notre lutte ne fait pas encore echo helas à notre chère mère patrie… Mais c’est par ces actions et témoignages que l’on peut faire avancer les choses. Donc un grand merci pour ton témoignage sincère!
    Peace!

  4. Tu sais, j’espère qu’on sera nombreux.ses à partager ton message, qu’on sera nombreux.ses à ravaler notre racisme primaire (eh oui, il se faufile partout) et nos idées étriquées. Tu es bien plus digne de cette France que celles et ceux qui te menacent, te rabrouent, te méprisent. Courage, aussi !

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