Hachem F. 17/11/2021

2/4 Il avait une emprise sur nous pour éviter qu’on parte

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La manipulation de son père les a écrasé·e·s pendant des années. Après le divorce, son emprise a persisté, jusqu'à ce qu'Hachem coupe toute relation.

À l’extérieur, « mon père » faisait semblant d’être parfait. Il rigolait, il parlait calmement, il écoutait les autres… tellement de choses qu’il ne faisait pas à la maison. Il se comportait comme un caméléon. Vivre avec cet homme, c’était des cris, des reproches, de la moquerie, du harcèlement psychologique et moral. Et non des rires, de la joie et de l’apaisement. En grandissant, j’ai compris quel homme il était : un monstre qui se nourrit du malheur des autres pour combler un vide. Il veut dominer les personnes autour de lui.

Il a très bien caché sa vraie personnalité pendant des années, même avant ma naissance. Puis, le temps est passé et il a commencé à changer négativement. Dès que quelque chose n’allait pas dans son sens, il s’énervait immédiatement. Ma mère essayait toujours de lui parler calmement, mais il n’y avait rien à faire. Il hurlait, il la rabaissait. Les reproches fusaient, tous plus ridicules les uns que les autres. Peu importe le problème et son degré d’importance, que ce soit de notre faute ou non, il agissait toujours de manière à ce qu’on se sente coupable. Toujours à se positionner en victime pour qu’on s’excuse. Si on essayait de lui parler, parfois il ne répondait pas. Pendant plusieurs jours ou semaines, il faisait le « sourd-muet ».

Il ne supportait pas qu’elle s’épanouisse, qu’elle rigole

À chaque fois que je me blessais, il me disait « bien fait pour toi » ou « tu l’as cherché », en rajoutant qu’il ne m’aiderait pas, car c’était de ma faute bien évidemment. Mais ce n’était pas grand-chose comparé au harcèlement psychologique qu’il faisait subir à mon frère, et surtout à ma mère. Elle n’avait pas le droit de sortir tranquillement avec des ami·e·s. Si elle était en retard en rentrant du travail, elle devait se justifier. Pour « mon père », elle devait rester à la maison pour s’occuper de ses enfants et faire le ménage. Le fait de lui interdire de sortir, ça lui permettait de garder un œil sur elle, d’avoir l’emprise sur elle. Il ne supportait pas qu’elle s’épanouisse, qu’elle rigole, qu’elle s’amuse… toutes les choses qui auraient fait d’elle une femme heureuse. Pour mon frère, ça n’était guère mieux : chaque jour des insultes, des phrases comme « t’es un moins que rien »« tu n’y arriveras jamais », et plein d’autres termes plus violents, vulgaires et rabaissants les uns que les autres.

Ma mère a pris la décision de divorcer. Bien évidemment, il n’était pas content, alors il a décidé d’accentuer son comportement de victime en essayant de se suicider. J’avais 11 ans. Elle a voulu que je vienne avec elle. Mais, perturbée comme j’étais, je suis restée avec lui par défaut pour rester dans le même collège.

Il essayait de me « monter » contre ma mère

Les premiers jours avec « mon père » se passaient assez bien et, au fil du temps, ça s’est dégradé. Le harcèlement psychologique a repris mais, cette fois-ci, j’étais seule contre lui, faible et naïve. Ce que ma mère et mon frère avaient subi, je le subissais à mon tour. J’étais si jeune que je n’osais rien lui dire par peur des conséquences. Il essayait de me « monter » contre ma mère pour que je la déteste, pour encore avoir l’emprise sur moi. Il voulait toujours que je m’excuse pour tout et rien, que je sois en tort ou non.

Un soir, c’est devenu invivable. J’ai appelé ma mère en pleurs pour qu’elle vienne me chercher. Ce soir-là, « mon père » a vu rouge. Je me rappellerai toujours de la dernière phrase qu’il m’a dite : « De toute façon, tu n’y arriveras pas sans moi, t’es une moins que rien. Tu ne sers à rien.. Si tu pars, tu iras en enfer. De toute façon, tu le mérites. » Et il répétait : « Papa est mort. »

Alors, j’ai décidé de partir sans tourner le dos. En arrivant chez ma mère, je me suis sentie apaisée. Enfin libérée d’un énorme poids.

C’est comme si on était des inconnus, « mon père » et moi

J’ai voulu garder contact après mon départ, malgré quelques réticences. Au début, il faisait semblant d’avoir changé, de s’être amélioré… Mais, une nouvelle fois, son vrai visage est apparu, du jour au lendemain. Je n’ai plus eu de contact avec lui par la suite. Nous nous croisons, mais on ne se parle pas. Même pas un bonjour. C’est comme si on était des inconnus… Si, parfois, j’ai le droit à un regard noir, il se moque de moi ou crache par terre.

Série 3/4 – Sandra a fini au poste après avoir défendu sa mère contre les coups de son beau-père.

Illustration sur laquelle on voit deux bras en gros plan, qui tiennent des roses comme des poings américains. Un portable est posé à côté.

Ce harcèlement a eu pour conséquence un mal-être et une peur du monde extérieur. Je n’avais plus confiance en moi, je pensais que tout ce qu’il me disait était réel et donc que je ne valais rien, que je n’y arriverais jamais. J’ai commencé à développer une phobie sociale. Maintenant, j’éprouve des difficultés à me lier d’amitié avec des garçons, de faire confiance, de communiquer avec eux. Parfois, il m’arrive de ressentir de la colère et du dégoût à leur égard. Même si je sais qu’ils ne sont pas tous pareils, je ne peux pas m’en empêcher… Mais, avec le temps, j’ai surmonté cela pour m’améliorer, lui prouver, et me prouver, que je ne suis pas une moins que rien, comme il le disait.

Hachem, 21 ans, en recherche d’emploi, Brest

Illustration © Merieme Mesfioui (@durga.maya)

 

Les enfants, grand·e·s oublié·e·s des violences conjugales

Des chiffres sous-estimés

143 000 enfants vivent dans un foyer où une femme a déclaré des violences sexuelles et/ou physiques au sein de son couple. Mais si l’on tenait compte des violences psychologiques et des violences non déclarées par les victimes, le nombre d’enfants concerné·e·s par l’exposition aux violences conjugales en France serait de 4 millions selon la Fédération nationale solidarité femmes (FNSF).

Les enfants exposé·e·s présentent tou·te·s des troubles psychologiques  

La quasi-totalité des mères appelant le 3919 rapportent que leurs enfants présentent des sentiments de peur, d’anxiété, d’angoisse et de stress. Un quart d’entre elles relèvent également une perte d’estime de soi et un sentiment de culpabilité chez elles et eux, et pour 10 % d’entre elles des signes de dépression, de lassitude et de fatigue.

La loi ne reconnaît pas aux enfants le statut de victime 

Les enfants exposé·e·s aux violences au sein du couple ne sont pas considéré·e·s comme victimes au regard de la loi. En plus de ne pas obtenir cette reconnaissance symbolique, cela les empêche de se constituer partie civile lors d’un procès et d’obtenir des dommages et intérêts pour les préjudices et les traumatismes subis.

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