1/2 Grâce à #MeToo, j’ai su mettre des mots
J’ai été victime de revenge porn. C’est grâce à #MeToo que j’ai non seulement pris conscience que ça existait, mais aussi de la gravité des faits.
Quand le mouvement a émergé, j’avais 16 ans. J’étais encore au lycée. J’ai grandi dans une atmosphère activiste. Ça m’arrivait d’aller en manif ou à des événements féministes avec des potes du lycée, puis de la fac. Avec elles et eux, on partageait la même pensée : la libération de la parole des femmes, c’est une NÉCESSITÉ. Je me souviens notamment de la manifestation à Paris pour les droits des femmes, en 2019. Je me suis retrouvée en face d’un cortège de victimes qui déployaient sur une pancarte les horreurs qu’elles avaient subies. Sur le moment, j’ai énormément pleuré. Puis, ma tristesse a laissé place à de la fierté : fière qu’elles aient eu le courage de dire et de dénoncer.
Alors, en 2020, moi aussi j’ai parlé.
Je voulais juste m’amuser
Cet été-là, je m’inscris sur un site de rencontre. Je commence à parler avec un garçon qui me plaît. Il est drôle, respectueux et attentif. Au bout de deux jours de conversations intenses, on se rencontre. On parle pendant des heures, je me confie, lui aussi. Un climat de confiance s’installe. Et ce qui devait arriver arriva : on couche ensemble. Ma première fois. Je rentre avec une euphorie insolite : « Enfin, ça s’est passé. »
Le lendemain, je profite de l’absence de mes parents pour l’inviter chez moi. Une nouvelle fois, c’est fluide et hyper agréable. Mais quelque chose titille mon esprit : la présence de son téléphone, écran face à nous, sur le lit. Impossible de voir s’il est allumé ou pas. Le temps d’un instant, le pire me traverse l’esprit.
Les jours qui suivent, je n’ai plus de nouvelles de lui. Pour me changer les idées, ma pote Alexia me propose de faire une soirée chez elle. Par réflexe, je sors mon téléphone pour voir si j’ai des notifications. C’est là que je vois son prénom apparaître. Étonnée, j’alerte mon amie et réponds au message que je viens de recevoir :
– « Tu vas bien ? Ça te dit qu’on se voit ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Parce que j’en ai pas envie.
– T’es sûre de toi ?
– Oui.
– OK, je vais balancer la vidéo. »
C’est sa première intimidation. Alexia sort de ses gonds. Le fait de la voir si en colère, ça me rassure. C’est comme une sorte d’approbation pour moi, à me dire : « Ok, je ne suis pas folle. Il y a bien quelque chose d’anormal. »
Quelques jours plus tard, son prénom apparaît une nouvelle fois sur mon écran :
– « On se voit ?
– Non.
– Pourquoi ?
– Parce que je n’en ai toujours pas envie.
– Très bien, alors je vais balancer la vidéo.
– Mais de quelle vidéo tu parles ?
– De celle que j’ai faite quand on a couché ensemble chez toi. »
Je rassemble des preuves « au cas où »
Mon cœur s’accélère. Il me menace : « Continue et je la mets sur Insta. » Je réalise ce qui est en train de se passer. Après #MeToo, j’avais vu revenir à plusieurs reprises ce terme, revenge porn. Je m’étais renseignée en regardant des vidéos et en lisant des articles. J’avais halluciné.
Là, je me mets sérieusement à paniquer. Il sait où j’habite. Je suis seule dans la maison et ça peut vite devenir dangereux. Je me dis rapidement qu’il me faut des preuves « au cas où ». Avec mes recherches, je savais que le revenge porn peut être condamnable pénalement. Alors je prends en photo notre conversation et lui dis : « Tu te rends compte de ce que tu es en train de faire ? En plus de m’humilier, tu me menaces ? T’es au courant que je peux porter plainte pour ça ? »
Dès qu’il s’en rend compte, il se justifie : « Non mais c’était une blague ! Ça va rho, on est pas au tribunal non plus. » Puis, étrangement, il se met à supprimer tous ses messages. Comme s’il s’était rendu compte de sa connerie. Comme s’il anticipait une défense pour se protéger face à la justice.
Je porte plainte
L’été passe, je fréquente de nouveau des hommes cis. Mais, je n’ai aucune confiance. Je ne me sens pas en phase avec moi-même. Savoir qu’il a pris des vidéos de moi, sans mon consentement… il n’y a rien de plus humiliant et rabaissant. Je me sens salie, et je commence à paniquer pour mon avenir. Peur que mon rêve d’être journaliste soit gâché par des instants de vie intime volés. Je pré-porte plainte en ligne.
Cinq jours plus tard, je suis convoquée au poste de police. J’avais peur d’être jugée par l’officier. Mais étonnement, il fait preuve d’écoute et de compréhension. Quand je lui explique la raison de ma plainte, il me répond : « Encore ? Vous êtes la deuxième à venir me voir cette semaine pour le même motif. Vous savez, ce genre d’histoire ça n’arrive pas qu’aux jeunes femmes. C’est une mère d’une quarantaine d’années qui a déposé plainte avant vous. Je ne comprends pas ce qu’il se passe en ce moment. » Ça m’a surprise. Je ne n’étais réellement pas seule.
Twitter m’a permis d’extérioriser
J’en ai aussi parlé à quelques ami·es, qui m’ont crue et soutenue dans mes démarches. Gab, mon meilleur ami, m’a dit cette phrase qui m’a marquée : « S’il balance cette vidéo, sache que ce n’est pas toi que l’on va blâmer, mais lui. »
Après avoir porté plainte, j’ai décidé de prendre la parole sur Twitter. Pas de long thread, pas de hashtag, pas de détails. C’était une manière d’enfin boucler cette histoire qui me bouffait l’esprit, mais aussi de me féliciter d’avoir agi. Faire comprendre que toute victime est légitime à porter plainte, qu’elle ait subi de la violence physique ou psychologique. Faire comprendre qu’elles ne sont pas seul·es.
Mon tweet a été liké une vingtaine de fois. Un ami a commenté : « Je suis juste trop fier de toi. T’as fait ce qu’il fallait faire. Maintenant, la justice doit suivre. » À nouveau, je me suis sentie entendue.
Je n’ai eu aucune nouvelle de ma plainte. Je me souviens de ce tweet honteux de la police nationale en mars 2021. « Envoyer un nude, c’est accepter de prendre le risque de voir cette photo partagée. » Voilà comment, en quelques mots, la plus importante institution de protection française m’a fait perdre tout espoir.
Après toute cette histoire, j’ai aussi connu le collectif Stop Fisha. C’est un comité de femmes qui lutte contre le cyberharcèlement, en particulier le revenge porn. Leur objectif : faire évoluer le système judiciaire, pour enfin obtenir la condamnation de violences sexistes et sexuelles dans l’espace numérique. Aujourd’hui, définitivement, je ne me sens plus seule.
Coralie, 21 ans, volontaire en service civique, Argenteuil
Crédit photo Pexels // CC Cliff Booth
#MeToo, chronologie d’un mouvement historique
2007 : les origines
La militante américaine Tarana Burke cofonde l’association Jenday Aza. L’objectif : accompagner les petites filles noires issues de quartiers populaires dans leur lutte contre les violences sexuelles. Elle lance alors Me Too, un mouvement qui vise à dénoncer ces violences, mais qui sera très peu médiatisé.
2015 : le scandale Bill Cosby
En couverture du New York Magazine, 35 femmes accusent l’ancienne star de télévision Bill Cosby de les avoir droguées puis violées entre 1960 et 2000.
5 octobre 2017 : l’affaire Weinstein éclate
Le New York Times publie des témoignages de femmes accusant le producteur star de harcèlement sexuel pendant près de 30 ans. Le magazine révèle qu’il aurait passé des accords avec au moins huit femmes, pour s’assurer de leur silence. Cinq jours plus tard, l’actrice Asia Argento et deux autres femmes affirment avoir été violées par Harvey Weinstein dans le New Yorker.
15 octobre 2017 : Alyssa Milano relance #MeToo sur Twitter
En partageant un tweet, l’actrice invite chaque victime de harcèlement ou d’agression sexuelle à se faire entendre en utilisant le hashtag MeToo. Le mouvement devient mondial.
15 avril 2018 : le travail d’enquête récompensé
Les journalistes du New York Times remportent le prestigieux prix Pulitzer qui récompense leur travail pour avoir révélé les agissements d’Harvey Weinstein.
25 septembre 2018 : une condamnation historique
L’acteur Bill Cosby est condamné à trois peines de dix ans de prison pour avoir drogué, agressé et violé des femmes, une première pour un homme célèbre depuis le début du mouvement #MeToo.
28 février 2020 : « La Honte ! » aux Césars
Alors que le réalisateur Roman Polanski a été condamné et est accusé de plusieurs viols, il gagne un César. Adèle Haenel, actrice qui avait dénoncé quelques mois plus tôt les violences sexuelles dans le cinéma français, quitte la cérémonie en direct en signe de protestation.
10 mai 2022 : PPDA, la chute d’un intouchable
En France, 23 femmes accusent l’ancien présentateur du 20 heures de TF1, Patrick Poivre d’Arvor, d’agressions sexuelles, de viols ou de harcèlement sexuel. Une majorité d’entre elles témoignent à visage découvert dans une émission spéciale organisée par Mediapart.