Danou B. 22/09/2020

Être heureux au travail, c’est pas du luxe

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J'ai enchaîné des boulots dans lesquels je ne m'épanouissais pas. Ma mission en service civique m'a enfin permis de me dire : « Oui, on peut être heureux au travail. »

Après une licence de socio, j’ai enchaîné avec un master en ressources humaines. Grande déception. Ma personnalité n’était pas prête à réduire l’humain à de simples statistiques, à avoir le courage nécessaire pour annoncer le renvoi d’un collègue, à assumer le pouvoir et le poids des responsabilités qui va avec. Je n’ai donc pas fini mon master.

Pour rebondir, j’ai obtenu un emploi de comptable. Enthousiaste, c’était mon premier job. Déçu et triste, je suis reparti de cette première expérience pro. À cause de la pression du résultat et de la trop grande charge de travail pour un débutant. J’ai expérimenté une certaine aliénation à force de remplir des tableaux machinalement, comme dépossédé face à l’ordinateur qui me servait d’outil de travail. Peut-être que je n’étais pas prêt à la brutalité et à la violence symbolique du monde du travail. J’avais 22 ans et j’étais plus que jamais perdu.

Le porte à porte, c’est aussi chiant que ça en a l’air

Puis, j’ai trouvé un job dans le porte à porte. J’ai voulu changer de registre, tourner la page et me mettre à l’épreuve. Ce boulot a rempli cet objectif, celui de dépasser ma peur de l’inconnu et de réaliser de belles rencontres. Mais voilà quoi, cela reste du porte à porte. C’est aussi chiant que ça en a l’air. Redondance d’un côté de la porte et méfiance de l’autre. Répétition et aliénation. Patience et résilience étaient les maîtres mots.

Les rémunérations indécentes ont fini de m’achever. Indépendants, nous ne bénéficions pas d’avantages sociaux, nous n’avions pas de Smic. Nous étions payés au contrat signé, ce qui implique parfois des journées sans contrats signés par les habitants, donc sans rémunération. Lors de mes premiers mois, j’ai gagné beaucoup moins qu’un Smic. On s’accrochait, en se promettant toujours de faire mieux la prochaine fois. Nous n’avons jamais réussi à faire mieux. C’est un système qui profite énormément à l’employeur qui, quoi qu’il arrive, reste toujours gagnant.

Le confinement a bouleversé les ambitions professionnelles de certain.e.s. Pour preuve, les reconversions dans le secteur de l’écologie se seraient multipliées. Un article Slate sur celles et ceux qui veulent être heureux.ses au travail mais, surtout, utiles.

Après, j’ai eu l’occasion de taffer dans un buffet à volonté près de Disneyland. J’aimais bien les périodes de service car cela me permettait de discuter avec la clientèle. Mais ce n’était pas le monde des rêves pour moi. J’ai pu améliorer mon relationnel et c’est toujours cool de manger gratuitement les restes du buffet. Mais les cadences de travail étaient infernales et le fait de travailler six jours sur sept de 10 heures à 23 heures m’ont lessivé.

Le service civique, malgré l’exhortation de ma mère à trouver un « vrai travail »

Après une période de chômage qui a duré un peu plus de six mois, poussé par ma famille à me bouger les fesses, j’ai décidé de m’activer, en décembre 2019. Reprendre les études ? La rentrée était déjà passée. Trouver un travail ? Dans quel domaine ?

Je cherche alors sur les internets, et je tombe sur des offres de service civique. L’occasion de me rendre utile aux autres ? De trouver du sens dans ce que je fais, cette chimère que je poursuis inlassablement ? Me voilà lancé sur cette voie, malgré l’exhortation de ma mère à trouver un « vrai travail ». Je savais que le service civique pourrait m’apporter ce qu’un « vrai travail » ne pourrait pas. Ce détachement de l’efficacité, de l’obligation de résultats et de profit.

J’ai ensuite choisi un programme basé sur l’écologie (Volontaires de la transition énergétique, pour les curieux). Nous devions sensibiliser les populations locales aux enjeux écologiques, aux éco-gestes, grâce à des animations, des rendez-vous personnalisés, du porte à porte (tiens, tiens), en partenariat avec des associations ou des municipalités de Seine-et-Marne. Je voulais apporter ma petite pierre à l’édifice de la lutte écologique. Mon attrait pour l’environnement remonte à mon enfance. Mes parents sont nés dans un pays ravagé par la guerre et la famine. Alors on m’a inculqué depuis que je suis tout petit la nécessité de ne pas gâcher et d’économiser au maximum.

C’est peut-être là que le déclic a eu lieu

Donc, voilà, je commence ce service civique début janvier avec trois semaines d’intégration, accompagné d’environ vingt jeunes de 16 à 25 ans et d’une coordinatrice d’équipe et de projet. Tous étaient issus de milieux sociaux, ethniques, culturels différents. Certains sont devenus de vrais amis.

Puis, le grand saut. J’étais dans une équipe de cinq jeunes déployée à Champs-sur-Marne. Le personnel du centre culturel et social Georges Brassens était très bienveillant. De nombreux projets étaient prévus en partenariat avec le centre, la municipalité, l’université, les écoles. Nous devions entretenir un jardin partagé, participer à une fête de quartier au début de l’été, tenir des stands afin de sensibiliser les populations aux enjeux écologiques, animer des ateliers d’inclusion numérique destinés aux personnes âgées (afin que celles-ci puissent mieux maîtriser les outils numériques en autonomie), réaliser des apéros zéro déchet (par exemple, réutiliser les peaux de banane ou les épluchures de pomme de terre pour en faire quelque chose de comestible), participer à la Semaine européenne du développement durable à l’université Gustave Eiffel.

Avant mi-mars, nous avons eu le temps de réaliser quelques animations pleines de sens à mes yeux. Nous avons participé à une journée de ramassage de déchets dans un parc. Nous sommes partis dans une école pour réaliser des animations avec une douzaine d’élèves de primaire. Ils ont notamment participé à 1,2,3 extinction (une sorte de 1,2,3 soleil à la sauce écolo), à des débats mouvants (les participants devaient se placer à droite ou à gauche de l’animateur en fonction de la question posée, par exemple : est-ce que tu as déjà jeté un déchet par terre ? Penses-tu à débrancher tes appareils lorsqu’ils sont pleinement chargés ?), ou à la course recyclage (les enfants devaient placer les déchets dans les poubelles correspondantes). Je me suis vraiment senti utile dans ces moments-là. C’est peut-être là que le déclic a eu lieu. Ce moment où je me suis dit à moi-même : « Putain, c’est ça ce que je veux faire dans la vie ! »

Heureux au travail mais le prochain ?

Post-confinement, nous avons eu l’occasion de réaliser différentes missions de solidarité telles que la distribution de masques ou de l’aide aux devoirs ainsi que différentes tâches manuelles. Cette sensation d’être utile, je l’avais peu ressentie durant le confinement.

Je ressors grandi de cette expérience de service civique. J’ai appris sur mes compétences, mes points forts et mes points à améliorer. Ce fut ma plus belle expérience professionnelle. Elle m’a permis de reprendre confiance en moi, de révéler des aptitudes cachées en moi. J’ai enfin trouvé du sens dans le travail. Avant, être heureux au travail, pour moi, c’était un luxe. Je considérais le travail comme une simple source de rémunération.

Anna a elle aussi décidé d’entamer une réorientation professionnelle. Pour faciliter cette transition, elle s’est crée un « climat de reconversion » pour rebondir plus facilement.

Je pense chercher du travail pour une année car je me suis inscrit trop tard pour un master en enseignement. J’espère trouver un emploi pouvant me procurer la même sensation d’épanouissement. Ne plus avoir cette boule au ventre à chaque fois que je m’apprête à commencer une journée de travail. Ne plus avoir cette peur maladive de « mal faire ». Je me sens prêt à me lancer dans quelque chose qui me plaît. Et je dois beaucoup de cela à mon service civique.

 

Danou, 25 ans, volontaire en service civique, Noisy-le-Grand

Crédit photo Unsplash // CC Bethany Leg

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