Seydou T. 10/04/2018

De retour au Mali, je me sens étranger dans mon pays

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Après trois ans passés en France, j'ai décidé de rentrer pour quelques temps au Mali. La joie de retrouver mon pays a rapidement laissé place au sentiment de ne pas être à ma place...

J’ai passé mon enfance dans une petite ville du nom de Tombouctou, dans le nord du Mali. Dans cette ville, le vivre ensemble était indépassable. On partageait les joies comme les peines collectivement. On m’avait habitué à dire bonjour aux gens que je croisais et à rentrer chez un voisin sans taper. Je connaissais le nom, le prénom et l’histoire de chaque individu de la ville. Je marchais chaque matin des kilomètres pour acheter le pain chaud appelé le « Kara Konno » pour le petit-déjeuner.

Chez moi, il y avait trois systèmes éducatifs : l’école française, l’école coranique et l’école de la rue. Cette dernière étant la plus importante de toutes aux yeux de nos parents. Quand j’ai eu mon bac, mon beau-père m’a proposé de venir vivre en France pour parfaire mon français et élargir mes connaissances.

Pour Yassin ça a été plus brusque. Un matin, en Egypte, son père l’a réveillé : « Lève-toi, tu vas aller en France ». Il n’avait que 13 ans.

Mon père trouvait l’idée ridicule. Pour lui, on ne quittait pas Tombouctou pour chercher le savoir ailleurs. On venait à Tombouctou pour chercher le savoir. C’était une ville universitaire, une cité du savoir renfermant des milliers de mystères énigmatiques.

Ma grand-mère était, elle, terrifiée à l’idée de me voir marié à une blanche.

J’ai malgré tout décidé de partir. Le jour du départ, j’étais aveuglé par l’excitation, mon père par la colère, ma mère par la fierté et ma grand-mère par la peur.

Un Paris jamais vu, déjà reconnu

La première fois que j’ai pris l’avion correspond à la première fois que j’ai quitté mon pays. Étant jeune et immature, je n’avais pas conscience du tournant que ma vie allait prendre. En arrivant en France, chez mon oncle dans l’Oise, j’ai eu une impression de déjà-vu, sans doute à cause de mes nombreuses recherches.

J’avais tout juste 18 ans quand j’ai quitté le Mali pour poursuivre mes études supérieures au pays de Voltaire, Camus, Baudelaire et tous ces grands virtuoses de la littérature classique et contemporaine. D’une société altruiste dans laquelle le social était à son paroxysme, je me suis retrouvé assigné à mener un train de vie de plus en plus individualiste et capitaliste.

Trois longues années se sont écoulées. Je m’intégrais assez rapidement au mode de vie français, mais en restant tout de même fidèle à mes principes et valeurs conservatrices. J’ai continué à prier cinq fois par jour et cela, malgré l’enchainement de mes cours. Je n’ai pas mangé de porc et pas bu d’alcool. Je n’allais pas en boîte et je n’ai pas fait l’amour hors mariage.

Chaque jour, j’ai accompli mon devoir d’enfant en disant « Bonjour » à mes parents en dépit de la distance.

Puis est arrivé le jour du retour. L’été 2017, submergé d’un engouement sans égal, je montais enfin à bord du vol AT89 Paris-Bamako de 17H50. Arrivé à 2h du matin, je sentais le vent froid soufflant sur ce pays endormi. Avec Tina, une camarade française qui avait bien voulu m’accompagner. L’excitation nous a envahis. J’étais impatient de redécouvrir ma ville et elle, de la découvrir.

Au Mali je ne m’y reconnais plus

La joie de l’atterrissage sur le sol natal a vite laissé place à la frustration infligée par le regard des miens. Dépaysé et dérouté, je me sentais étranger dans mon pays, étranger au monde social dans lequel j’étais autrefois si bien accepté. On me surnomma d’ailleurs, avec une intention très sarcastique : « Le Français ».

J’avais l’impression que l’aversion et le complexe envers le mode de vie occidental qu’avaient certaines personnes se déversait sur moi. La pauvre Tina ne comprenait pas pourquoi les miens étaient si réticents envers moi. Leur rejet n’enlevait rien à mon bonheur de retrouver certaines habitudes que j’avais oubliées. Je ressentais une grande sérénité en dormant à la belle étoile avec le vent naturel qui sillonnait tout mon corps. J’avais oublié le bien-être qu’il y avait dans le fait de marcher pieds nus sur les dunes de sable. Ces détails me faisaient accepter leur rejet.

Toutefois, certaines coutumes m’étaient devenues insupportables ! Les mariages auxquels nous avons pu assister étaient devenus trop bruyants à mon goût. J’étais plus pour les soirées entre amis qu’avec plein de monde. J’étais tellement acclimaté à l’atmosphère de Paris que l’air de Bamako devenait irrespirable pour moi. J’étais fatigué par les innombrables visites que je me sentais obligé de rendre à mes proches. Les causeries nocturnes au « grin » me paraissaient d’une telle futilité !

Après deux semaines, Tina est tombée malade. Nous avons dû quitter mon pays. J’ai ressenti alors une immense satisfaction et un grand chagrin. Maintenant, j’habite ici, en France, avec ma petite soeur que j’ai fait venir. Elle aussi sera bientôt entre deux pays.

 

Seydou, 23 ans, étudiant en L3, Université Paris Nanterre

Crédit photo Flickr // CC Alexandra Baron

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