Apprendre à parler politique aux lycéens, c’est tout un art
Ce matin est un matin comme les autres. Des grappes de jeunes discutent devant l’entrée du lycée, certains sont encore mal réveillés, d’autres, intrigués, nous observent. On se sait repérés. Notre apparence hybride mi profs-mi lycéens les fait hésiter entre le vouvoiement et le tutoiement. Lorsque l’atelier commence, la première chose à faire est de briser la glace.
À chaque intervention, j’ai toujours ce moment de doute au fond de moi où je me dis : « Et si cette fois ça ne marchait pas ? Et si cette fois, aucun d’entre eux ne parlait ? Ni même ne nous écoutait ? ».
Mais ça n’est encore jamais arrivé. Quand on leur dit que tout le monde se lève et qu’on pousse les tables, c’est la fête. L’air hébété du matin s’évanouit, une petite flamme crépite dans leurs yeux. Et même si certains restent dubitatifs, il n’y a pas de contrôle surprise, c’est déjà ça.
Au contraire, c’est pour nous que la surprise (re)commence à chaque fois.
On s’attendrait à des ados fermés, en rébellion contre l’adulte qu’on représente. On trouve des jeunes joyeux, joueurs, enjoués, heureux qu’enfin on leur donne la parole alors que toute l’année on leur impose le silence en classe. Pour une fois, la classe, c’est eux qui la font. À chacune de nos questions, ils se déplacent à une extrémité ou l’autre de la salle. Les groupes constitués jouent à se convaincre, certains changent d’avis (et de groupe), d’autres pas.
Crédit photo © Voxe
Il y a toujours les grandes gueules qui titillent les autres, les bons élèves qui s’écoutent un petit peu parler, et les timides qui essayent de disparaitre de notre champ de vision de peur d’être interrogés. Plus loin, il y a le prof qui observe et qui redécouvre ses élèves.
J’ai toujours un moment de doute sur le fait qu’on arrive à tenir une classe de 30 boutonneux sur un sujet aussi « relou » que l’éducation civique. Ça relève de l’impossible d’après la légende urbaine.
La politique, ça les concerne !
C’est vrai qu’au début, le refrain est toujours à peu près le même. « J’ai pas d’avis sur la politique et ces trucs-là », « J’avoue ça m’intéresse pas », « J’y comprends rien », « Mais de toute façon, on nous prend pour des cons ! » ou, plus classique : « De toute façon, nous on peut rien changer. » C’est terrible d’entendre ça quand on y pense, non ?
Tout l’enjeu est là : leur donner conscience que la politique les concerne pour leur donner envie de s’informer, et peut être même de s’engager. C’est peut-être pompeux dit comme ça, mais il en va de la vitalité de la démocratie. L’enjeu est de former des citoyens actifs qui se tiennent informés des décisions prises pour eux et qui soient capables de les questionner, de cultiver ce bon vieil esprit critique français.
Ce n’est pas en deux heures qu’on sauve la démocratie, mais ça nous donne le temps de semer des graines, parce qu’on sait qu’à cet âge-là, certaines phrases de nos profs peuvent nous marquer à vie.
Alors au début, nos questions ne les concernent pas, mais pourtant ils s’expriment. Ça se coupe la parole dans tous les sens, ça hausse parfois un peu le ton et ça s’écharpe. « Bon, on dirait quand même que ça vous tient à cœur ce truc, non ? Ça ne vous concernerait pas un peu du coup ? », « Bah ouais, un peu. »
Petit à petit, les plus timides sortent de leur mutisme, dans les discours de certains et dans les propositions des autres, on sent presque un fil qui les relie à ces politiciens en costards, ces journalistes de plateaux télés et ces gens qui manifestent, dehors. Le pont est fait entre la société et la citadelle de l’école. Il ne manque plus que les lycéens l’empruntent.
On ne reste jamais assez longtemps pour pouvoir l’observer, mais on a notre récompense quand, à la fin des deux heures, on entend « franchement, c’était cool ». Ce n’est plutôt pas mal pour « le sujet le plus relou de la terre ». On part en disant qu’on a semé un truc, ce truc du vivre-ensemble là.
(PS : invitez-nous dans votre classe en écrivant à lycee@voxe.org)
Coline, 24 ans, étudiante et bénévole chez Voxe.org, Paris
Crédit photo © Mars Films // A voix haute – La force de la parole (documentaire, 2016)