Sana G. 31/10/2018

En banlieue, je me sentais jugée par des profs frustrés

tags :

Du proviseur à l'infirmière en passant par ses profs, Sana retient de ses années lycée le dégoût et la frustration du personnel éducatif. Pas sans effet sur sa scolarité...

J’ai été dans un lycée de banlieue et j’ai dû m’habituer à la réputation qui l’accompagnait. Tous les matins, je devais affronter les regards suspicieux, distants et hautains des surveillants à la grille et de la loge, comme si j’étais un danger pour eux. Alors qu’en fait, moi, je venais juste étudier pour avoir mon diplôme.

En entrant dans le lycée, je pouvais voir sur leurs visages leur dégoût d’être là. Le personnel ne supportait pas d’être affecté dans un établissement rempli de racailles. Les élèves, conscients des préjugés, étaient sur la défensive, voire même agressifs. Un cercle vicieux s’est installé. J’ai eu des profs qui partaient en vacances pendant les périodes de cours, on restait sans profs ni remplaçants. D’autres se permettaient des remarques comme : « Vous êtes des prolétaires qui se prennent pour des bourgeois. » Les comparaisons entre nous et les lycéens de Paris, on y avait le droit tous les jours. On nous reprochait de ne pas être comme eux.

« Les élèves comme toi, ils vont se faire voir. »

Un jour, il a suffi que j’adresse un sourire à ma camarade en cours pour que le prof estime que je « chahutais » en classe et que j’étais une élève perturbatrice. Du coup, j’ai eu le droit toute l’année à de la méfiance et à des provocations de sa part. J’ai dû prendre sur moi pour ne pas lui répondre, c’était exactement ce qu’il attendait. Sans parler des insultes qu’on recevait en classe : « Fermez vos gueules ! », « Vous êtes des merdeux ». Ma prof de physique-chimie était persuadée que j’avais triché à un contrôle parce que j’avais eu une meilleure note que d’habitude. Elle m’a balancé devant toute la classe : « Les élèves comme toi, ils vont se faire voir. »

Pendant les séances de TPE, en première, j’ai été choquée par le comportement de mes profs. Les trois enseignantes qui nous encadraient ont pris les trombinoscopes de toutes les classes et se sont misent à critiquer le physique des élèves : « Regarde celle-là, on dirait un gars ! » Je ne parle même pas des éclats de rire et des coups sur le bureau. Alors que quelques minutes avant, elles nous disaient de travailler en silence.

J’entendais souvent que la punition pour un prof était d’être affecté dans un lycée de banlieue. J’ignore si c’est vrai, mais ça expliquerait beaucoup de choses.

Chaque année que j’ai passée dans ce lycée a été ponctuée par l’arrivée d’un nouveau proviseur. Leur point commun à tous : leur frustration. Aussitôt qu’ils arrivaient, ils voulaient déjà repartir. Tous les projets de sorties ou de voyages tombaient à l’eau, aucune proposition d’activité ou d’amélioration n’aboutissait. Par contre, la surveillance était devenue optimale : proviseurs et surveillants rôdaient dans les couloirs. Si je voulais aller d’une salle à une autre, ou aux toilettes, je pouvais être sûre qu’un adulte m’interpellerait en hurlant à l’autre bout du couloir pour savoir ce que je manigançais.

En terminale, lors des inscriptions au bac, la proviseure est venue nous aider. On donnait les informations à l’oral et elle tapait sur l’ordi. À un moment, elle m’a demandé si j’étais mariée. Aucune question dans ce genre dans le formulaire d’inscription. À la fin de la séance, j’ai demandé aux autres filles de la classe si la même question leur avait été posé. Elles ont toutes dit « non », exceptée une. La seule fille de la classe voilée, en dehors de moi.

L’infirmière ne m’a pas crue

Mais je pense que ce qui m’a le plus marquée sur les trois années de lycée, cela a été ma convocation chez l’infirmière. En seconde, sans raison, deux jours après la rentrée. Arrivée dans son bureau, elle a allumé son PC et m’a posé plein de questions : « Comment tu t’appelles ? Quel âge as-tu ? » Jusque-là, rien d’anormal. C’est après qu’elle s’est mise à me poser des questions plus personnelles : « Où tu habites ? Pourquoi tu es arrivée en retard à la rentrée ? » J’ai répondu que j’étais malade. Elle ne m’a pas crue et m’a dit : « Pour être absent une semaine il faut être vraiment malade. » Alors que je ne m’étais absentée que deux jours. Elle ne m’a pas laissé le temps de réagir et a enchaîné en me disant : « Comment ça se passe chez toi ? » Nous y voilà. Lorsque je lui ai répondu que tout allait bien, elle m’a lancé un regard sceptique, puis m’a répété : « Parce qu’une semaine, ça fait quand même beaucoup… » Elle a marqué une pause, jaugé ma réaction. Je lui ai répété que tout allait bien, puis elle a fini par dire : « Il faudra que tu rattrapes les cours, sinon tu vas avoir des lacunes dès le début de l’année. » Elle m’a ensuite fait signe de sortir. Je n’ai jamais remis les pieds à l’infirmerie.

Tous ces jugements et préjugés m’ont permis de forger mon caractère. Maintenant, je garde la tête froide, je me fixe des objectifs et j’avance la tête haute, peu importe ce qui m’entoure.

Sana, 18 ans, étudiante, Bobigny

Crédit photo © Haut et Court // Entre les murs de Laurent Cantet (film 2008)

Partager

1 réaction

  1. Salam Sana, les préjugés, les remarques déplacées les jugements tu en aura toute ta vie et malheureusement des auxquels tu t’attends le moins.
    Etre une fille, de banlieue, issue de l’immigration et voilée fait de nous une cible pour la société mais ça doit être notre force. Bon courage pour la suite de tes études. Je te souhaite beaucoup de réussite !!

Voir tous les commentaires

Commenter