À Calais, des exilés, des assos et moi qui m’engage
En quête de sens, envie de faire, de faire plus, de faire mieux. Après avoir démissionné de mon master en sociologie de l’innovation culturelle et sociale, j’ai décidé d’aller voir par moi-même une situation qui, même à travers les médias de grande écoute, m’écœurait. Je voulais voir dans quelles conditions des personnes qui avaient fui leur pays, un régime autoritaire, la guerre… vivaient. Comment l’État français, la république française accueillait ces personnes.
Deux mois avant de partir à Calais, j’ai adhéré à l’Auberge des Migrants, je me suis inscrit pour aller sur le terrain afin d’apporter mon aide aux différentes associations présentes sur place. Tout était assez bien organisé, j’ai reçu un document qui m’expliquait comment se passait l’action sur le terrain ou avant ma venue et les possibilités de logement.
Entre mon adhésion et mon départ pour Calais, j’ai voulu organiser une collecte de vêtements et de produits d’hygiène afin de permettre aux personnes de mon entourage de s’engager elles aussi, à distance. L’Auberge des Migrants, via son site internet, diffuse une liste de besoins tous les mois. J’ai donc récolté une grosse quantité de dons et après un gros tri, ma voiture était remplie et prête à partir.
L’entrepôt, une immense ruche associative
Je suis arrivé un beau matin de janvier, j’ai été accueilli par les bénévoles de la « Welcome Office ». Une visite de l’entrepôt m’a été proposée afin de découvrir l’ensemble des associations présentes. On peut y retrouver quatre associations principales :
L’Auberge des Migrants. Help Refugees qui apporte une aide matérielle aux exilés. C’est elle qui est chargée de réceptionner les dons et de les trier. Refugee Community Kitchen (RCK). Également présente depuis 2015 à Calais, c’est la cuisine de l’entrepôt. Elle produit environ 2000 repas par jour qui sont distribués à Calais et à Grande-Synthe. Et Utopia 56 qui apporte une aide matérielle et alimentaire sur trois camps à Calais. Elle a également mis en place une équipe qui s’occupe du suivi médical et de la mise à l’abri des personnes vulnérables présentent sur Calais.
Utopia56 a tout récemment lancé une campagne de financement participatif via Les Petites Pierres. Ils ont besoin d’aide pour développer leur nouvel activité d’accompagnement juridique et social des exilés ! Voici la vidéo de présentation :
Sur place, c’est en moyenne 50 bénévoles qui travaillent dans le froid, dans un entrepôt mal éclairé à couper du bois, trier des vêtements, couper des légumes… le tout dans une ambiance chaleureuse, conviviale et bienveillante. Ces bénévoles viennent des quatre coins de la France, d’Europe, et ont en moyenne entre 20 et 30 ans. Ils viennent à Calais, pour deux jours, une semaine, un mois, un an dans le seul but de faire évoluer la situation dramatique que les exilés y vivent. Une façon de dire : je ne cautionne pas ce qui se passe ici.
Dans la vie de l’entrepôt, ce qui est frappant, c’est le jeune âge des volontaires et la présence en grand nombre de bénévoles anglais. Tout ou presque se fait en anglais. L’explication est assez simple, Help Refugees et RCK sont des assos très connues en Angleterre, elles arrivent à mobiliser de nombreuses personnes dans les actions humanitaires à Calais et ailleurs. Même si ça peut être un peu déstabilisant pour un non anglophone comme moi, la présence de personnes pouvant traduire, permet de prendre part à toutes les actions et même de parfaire son anglais.
Toutefois, naturellement, j’ai commencé par travailler avec l’asso française, Utopia56. Au départ, j’étais en préparation. Le but était de préparer les trois distributions prévues en fin d’après-midi. Nous mettions à jour les stocks de vêtements, de produits d’hygiènes et de tout le nécessaire à la distribution de nourriture. Nous préparions des sacs dans lesquels nous mettions des couvertures, duvets et petits matelas pour pouvoir les distribuer la nuit en urgence, aux personnes en détresse. Dans le but de découvrir l’ensemble des actions, j’ai également travaillé avec Help Refugees, qui ouvre une scierie en hiver et distribue des sacs de bois dans les différents camps pour permettre aux exilés de se réchauffer.
Ici, les personnes avaient un nom, un visage, une histoire
Très vite, j’ai reçu une formation pour aller sur le terrain. Avec Utopia 56, j’ai commencé à faire des distributions deux heures par soir dans les différents camps. Avec un anglais balbutiant, je discutais avec ces personnes qui, ici, avaient un nom, un visage, une histoire. Des jeunes hommes qui avaient fui la guerre, la dictature, la mort. Ils avaient mon âge ou étaient même mineurs et avaient une vie bien différente de la mienne. Dès notre arrivée, nous leur fournissions un peu d’électricité à l’aide d’un groupe électrogène, un peu de nourriture, du thé, des vêtements et des produits d’hygiène. Puis au bout de deux heures, nous rentrions à l’entrepôt afin de débriefer avec les coordinateurs.
Par la suite, j’ai fait partie de l’équipe qui emmène les personnes vulnérables aux Permanences d’Accès aux Soins de Santé [PASS] mis en place à l’hôpital. Ces permanences gérées par l’hôpital ont pour objectif de faciliter l’accès à la santé des personnes vulnérables et de les accompagner dans l’ensemble de leurs démarches. Les exilés sont dans des situations préoccupantes à cause des conditions sanitaires déplorables dans lesquelles ils vivent. Les journées à s’occuper des PASS étaient des journées chargées car nous effectuions de nombreuses navettes entre les différents camps et l’hôpital qui se situe parfois à plusieurs kilomètres.
J’ai également travaillé de 17h à 9h, dans ce qu’on appelle Mise à l’Abri [MAB]. Il s’agit d’une équipe de nuit qui est appelée par les équipes en distribution ou directement par les personnes en détresse afin d’être véhiculées vers l’hôpital, ou pour essayer de trouver une place avec le Samu social. Ils aident aussi les mineurs isolés à trouver une place dans des centres d’hébergement d’urgence spécifiques. Pour cela il faut accompagner le mineur au commissariat qui se charge (lui-même) de contacter le centre d’hébergement et d’y véhiculer le mineur.
À 16 ans, Farès est parti, avec une asso de quartier, aider à bâtir un mur dans un petit village marocain. Cette expérience de l’entraide lui a fait prendre du recul sur son propre quotidien. En mission humanitaire, j’ai pris conscience de ma chance
Les choses que j’ai trouvé les plus choquantes, je les ai vues lors de mes astreintes avec la MAB. Une fois, on a été obligés d’amener aux urgences de Calais un patient de l’hôpital de Saint-Omer qui ne pouvait pas marcher seul. Il avait une plaie à peine nettoyée sur le visage et le scanner annonçait une hémorragie cérébrale… Je mettais pour la première fois une image sur l’expression « lire le désespoir dans les yeux d’une personne ». Comme lorsque j’ai vu un exilé passé à tabac par la BAC sous les yeux des badauds pressés de rentrer chez eux après une journée de travail. Comme lorsque je me suis senti intimidé par des CRS alors que nous venions apporter les premiers soins à une personne blessée avant de l’emmener à l’hôpital. Le plus choquant, c’est qu’aux yeux de l’État, la vie de ces personnes n’a aucune valeur… Comme celle de ce jeune Éthiopien, mort dans un camion sans aucun hommage, que ce soit de la part du préfet du Pas-de-Calais ou bien de la mairesse de Calais.
Je suis en colère contre nos dirigeants
Lorsque j’y étais, il y a eu une grosse expulsion, annoncée comme définitive : les exilés ne pouvaient plus reposer leurs tentes sur le terrain. Entre militants et exilés, nous avons voulu dénoncer cette décision du préfet du Pas-de-Calais ; sit-in, banderoles, tribunes, etc. Le résultat était toujours le même : confiscation de banderoles et expulsion. Aucune discussion. Nos seuls interlocuteurs étaient les forces de l’ordre et leur réponse était la force. Bien sûr, j’ai éprouvé de la colère contre ces hommes et ces femmes mais ce sont les décideurs qui sont responsables, pas les exécutants. Le combat, pour qu’il soit efficace, devrait s’orienter contre les idées et les personnes responsables de la crise humanitaire à Calais tout comme en Grèce, en Italie, en Libye, au Yémen ou en Syrie.
Dès mon retour, il me paraissait important de partager l’expérience que j’avais vécue. C’est pourquoi, avec plusieurs volontaires rencontrés à Calais, nous avons participé à une émission de radio locale pour parler de la situation. Et c’est aussi pourquoi j’ai décidé d’écrire cet article.
Entre le terrain, l’entrepôt, les rencontres, les discussions, je suis passé par plusieurs sentiments comme la honte, le dégoût, la colère, la tristesse, l’impuissance, la joie, l’amour… Ces sept semaines à Calais ont été riches, intenses et épuisantes. Elles m’ont permis de me rendre compte de la chance que j’ai d’être né dans ce beau pays qu’est la France, la chance aussi d’avoir eu accès aux soins facilement, d’avoir reçu une éducation importante via l’école, mais surtout via ma famille et l’éducation populaire.
Cette expérience m’a également permis de me conforter dans l’idée que pour une émancipation individuelle et collective des individus de tous les rapports de domination, l’éducation populaire doit prendre une place prédominante dans notre société. Cette expérience à renforcer mon choix de travailler comme coordinateur socio-éducatif.
Loïc, 23 ans, militant, Nancy
Crédit photo Hans Lucas // © Karine Pierre, « Calais – le nouveau camp de réfugiés »
A mes 18 ans je suis partie rejoindre mon grand-père travaillant à Calais avec Utopia. Cette expérience a été, comme tu le dis, « riche, intense et épuisante ». J’ai 21 ans depuis peu et il ne passe pas une journée sans laquelle je ne me rappelle des choses choquantes, de l’injustice, de la colère.
Merci de ce témoignage et de ton engagement.
Celui qui le dit, c’est vous, c’est moi, c’est nous. Merci pour ce retour d’expérience.