Mon ordi m’a permis de me lâcher en toute sécurité
Quand j’étais à l’école ou au collège, beaucoup de gens se moquaient de moi à cause de mon style et de ma culture sortis des années 90 : chemises à carreaux ou unies toujours bien repassées, pantalons en jean coupe classique, chaussures de ville en cuir cirées et lustrées.
En quatrième, deux choses importantes sont arrivées. D’abord, deux personnes ne se sont pas arrêtées à ma chemise toute propre et à mon air timide. Elles se sont intéressées à moi, à qui j’étais vraiment. J’ai alors commencé à comprendre ce qu’était l’amitié. J’ai compris à quel point les expressions « je tiens à toi » et « je te fais confiance » étaient importantes. Ensuite, j’ai eu mon premier téléphone portable et en première, un ordinateur personnel.
Mon ordi m’a permis de me lâcher
Ces évènements peuvent paraître sans importance, mais pour moi, ils en ont eu beaucoup : mon téléphone m’a permis de parler beaucoup plus régulièrement avec mes amis et mon ordinateur est lui-même devenu mon ami. Ce qui me manquait, c’était de pouvoir réellement me confier à quelqu’un. Je suis comme ça, introverti et je ne me confie pas. Pourtant, au bout d’un moment, les sentiments et les émotions refoulés doivent sortir. Pour moi, ça ne pouvait plus durer. Mon ordi m’a permis de me lâcher en toute sécurité. Mes parents ne connaissent pas le code et les fichiers dans lesquels mes sentiments sont stockés sont des fichiers cryptés plusieurs fois.
Avec son morceau Chorus, l’artiste Holly Herndon nous parle de l’intimité qu’elle partage avec son ordinateur. Elle travaille grâce à lui, communique à travers lui, y laisse des traces de sa vie privée… En samplant ses expériences de navigation sur Internet – Skype, Youtube, et autres -, son message est simple : « Plus nous sommes à l’aise avec ces appareils [en leur confiant des informations personnelles – Ndlr. ], plus nous sommes vulnérables. »
Ainsi, mon ordi occupe dans ma vie la même place qu’un confident. Je ne confierai jamais à personne mes secrets, ou bien juste les moins importants. J’ai confiance en mes amis, mais aucun être humain n’est infaillible. Et je n’ai pas du tout confiance en mes parents. La plupart du temps, mon ordinateur est hors ligne. J’ai compris que ça me donnait un avantage : mon ordinateur est inaccessible à distance sauf quand je le connecte manuellement (ce qui est rare). Le seul moyen d’y récupérer une donnée est donc d’y accéder physiquement. De plus, ces fameuses données sont stockées sur une clé USB qui ne me quitte jamais.
Tout ce dont j’ai besoin, je n’y ai pas accès
Il m’arrive parfois de vouloir échapper à ma vie, échapper à ma routine, à un quotidien trop réel que je déteste : les cours, ma mère qui râle tout le temps pour rien, le fait que quelqu’un me dérange (en moyenne, j’ai chronométré) toutes les 6min35 jusqu’à 20h. Pas le temps de souffler et le peu de temps libre que j’ai, je dois le passer enfermé dans la boite de conserve qu’est mon appartement, alors que je suis quelqu’un qui a besoin d’air, besoin de sortir, besoin de marcher, courir, sauter, voler. Tout ce dont j’ai besoin, je n’y ai pas accès. Mais j’ai mon ordinateur.
Souvent seul chez lui, Théo a longtemps trompé sa solitude en plongeant dans les jeux vidéo. Il en prend tout juste conscience. « Les jeux vidéo contre ma solitude »
J’ai peu de véritables amis mais j’ai plaisir à être avec eux, à discuter avec eux. Ils m’apaisent quand je suis avec eux, mais lorsque je suis en colère, c’est mon ordi qui tient le rôle de confident. Je l’allume et je programme. Seule contrainte : ça doit être inutile, complexe et m’occuper l’esprit. Ça me relaxe, apaise mes tensions, mes peurs et mes colères. Je préfère tout de même être avec mes amis. Cependant je ne pense pas être capable de survivre un mois sans mon ordinateur.
Harry, 16 ans, lycéen, Noisiel
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