Un toit, moi et le tabac
Tout le monde déteste l’odeur de tabac froid. Les enfants entendent beaucoup parler de cette odeur, si mystérieuse, inconnue et interdite. J’y ai goûté, cette odeur m’a suivie. J’ai eu de plus en plus besoin de la sentir, mais je n’ai pas assumé le fait de porter ce parfum. Me balader avec cette odeur collée à mes vêtements à seulement 15 ans a changé toutes mes relations.
Ma mère rentre toujours avant mon père, vers 19h30. À 21h, on m’appelle à table. Je descends chaque marche des escaliers en me demandant si ce dîner sera similaire au dernier. Malheureusement, c’est bel et bien le même repas que la veille, et que tous les autres jours d’ailleurs. Les mêmes discussions, les mêmes reproches, les mêmes cris, les mêmes insultes et les mêmes pleurs. Et bien sûr, ce même silence de ma part. Parce que je sais que si j’essayais de m’exprimer, je n’arriverais jamais à lui parler de tout. De tout ce que j’ai envie de dire à ma mère, des paroles qui s’accumulent de plus en plus au fond de ma tête. La dernière fois que je lui ai fait part de ce que je ressentais, elle m’avait forcée à lui parler. J’étais dégoulinante de larmes et je lui ai dit que c’était elle qui me mettait une pression constante. Elle a rigolé, elle s’est foutue de ma gueule. Touchée, je ne lui ai plus jamais rien dit.
Un seul échappatoire : ce bon vieux tabac froid
La fuite jusqu’à ma chambre sonne la fin du dîner. Chassée ou non, c’est un réel sauvetage. Enfin seule, dans la chambre la plus haute et isolée de la maison. Je m’y sens comme dans une cellule de cristal. À ce moment-là, je ne contrôle plus aucune de mes émotions. Colère, trahison et frustration se confondent. Je ne peux pas partir (je le ferais avec plaisir si je n’étais dans la chambre la plus haute), je ne peux pas dormir, je ne peux rien faire. Je ne vois qu’un seul moyen de m’échapper : ce bon vieux tabac froid.
Boire et fumer, en troisième, tous les amis de Shawna s’y sont mis. Seule à « résister », elle a peur de craquer, de consommer pour ne pas être exclue.
Je sèche mes larmes. Je pousse mon lit au milieu de ma chambre, sous ma fenêtre. Sur mon bureau, je me roule plusieurs clopes, quand je me rappelle avoir un reste de joint. Je mets tout dans un paquet vide, mon briquet et mes écouteurs dans une autre poche. Quand je suis prête, je monte sur le lit et sur le toit. Un peu plus bas, il y a la cheminée. Je descends le toit jusqu’au pied de celle-ci. C’est seulement là que je peux m’allonger, et profiter. Je sors mon portable et mes écouteurs. Je suis en mode avion. J’écoute « Wonderwall » d’Oasis. Je ne sais pas ce que j’aurais pu faire pour avoir une bonne relation avec ma mère. Est-ce que ce sera toujours comme ça ?
Je sors mon briquet et une clope que je coince entre mes lèvres. Mes mains sont gelées. Ma main gauche est armée du briquet et ma main droite forme une coque qui le protège du vent. Après plusieurs tentatives qui m’ont fait mal au pouce gauche, je savoure enfin ce goût. La première bouffée m’a redonné le goût de la liberté.
Prune, 16 ans, lycéenne, Rambouillet
Crédit photo Unsplash // CC Riccardo Fissore