Cet été, j’ai décidé de voyager sans prendre l’avion
Il paraît que j’avais seulement trois mois quand j’ai pris l’avion pour la première fois. Cela devait donc être en février-mars 1994. Un vol Toulouse-Paris. Ce tout premier vol a longtemps été pour moi l’une de mes fiertés. Plus jeune, j’y voyais presque un signe prémonitoire pour la « grande voyageuse » que je rêvais de devenir un jour.
Je n’ai pas compté mais j’ai probablement pris l’avion une bonne centaine de fois, que ce soit pour des vols domestiques ou des longs-courriers. Petite, j’ai beaucoup voyagé avec mes parents. Ils m’emmenaient partout ! En plus, à l’époque, on profitait des miles (les points de fidélité des compagnies aériennes) qu’accumulait mon père avec son travail. Du coup, on voyageait à prix réduit. Et puis, une fois devenue indépendante, j’ai continué à sillonner le monde dès que je le pouvais, avec comme principe de ne jamais retourner dans un endroit que j’avais déjà visité tant la liste des lieux à découvrir me semblait inépuisable.
Même si aujourd’hui, les gens que je côtoie ont finalement autant voyagé que moi (si ce n’est plus), j’ai toujours eu l’impression d’entretenir un rapport privilégié avec le voyage. Depuis l’âge de 10 ans environ, j’ai pris l’habitude de réaliser des carnets de voyage après chaque périple. Y compris après un city break de quelques jours à l’étranger ! J’y détaille mes pérégrinations, mes rencontres, mes étonnements, et j’y colle tout un tas de papiers (tickets de transports, de musées, cartes de visite, emballages de nourriture, etc.). À l’occasion, il m’arrive de rouvrir ces cahiers, notamment pour échanger des bons plans quand des amis décident de visiter des destinations que je connais. Aussi, il y a deux ans, après un voyage solo d’un mois en Iran, j’ai décidé de créer « Tes cliques et tes claques », une émission mensuelle consacrée aux récits de voyages et diffusée sur Radio Campus Paris. À chaque épisode, j’explorais un pays avec un invité, de retour de son expédition. Bref, le voyage était vraiment l’un de mes principaux centres d’intérêt !
L’aviation civile, c’est 5 % de l’impact climatique attribuable aux activités humaines
Mais début 2019, j’ai progressivement pris conscience des dégâts que causait le trafic aérien. D’abord, en redécouvrant les essais et les romans de Paul Bowles. Dès le milieu du XXe siècle, cet écrivain-voyageur américain expliquait déjà que l’avion était un fléau car ce mode de transport rapide favorisait le tourisme de masse et non le voyage à proprement parler, qui lui exigeait plus de temps. Et puis, depuis quelques mois, je n’arrête pas de tomber sur des articles et des témoignages allant dans le sens d’un boycott de l’avion pour réduire notre empreinte carbone : le militant écologiste Jérémie Pichon sur France Inter, une influenceuse voyage dans Le Monde et enfin, le magazine Alternatives Economiques qui en a fait sa une : « Faut-il arrêter de prendre l’avion ? »
En cinq minutes, Jérémie Pichon nous explique les six choses qui impactent le plus sur l’environnement : Argent (eh oui!), transport, logement, alimentation, hyper-consommation, services publics… Mais surtout, il nous dit comment y remédier !
À travers les médias et les réseaux sociaux, j’ai appris que l’aviation civile représentait 5 % de l’impact climatique attribuable aux activités humaines. Mais aussi que le nombre de passagers de l’aérien ne cessait d’augmenter chaque année, grâce notamment aux prix des billets d’avion maintenus artificiellement bas par un système fiscal avantageux. A contrario, j’ai également vu qu’en Suède, un mouvement baptisé flygskam s’était développé. Il s’agit de la honte de prendre l’avion.
Ces injonctions à repenser le voyage m’ont aussitôt interpellée. J’ai 25 ans et j’ai eu la chance de beaucoup voyager mais à quel prix pour la planète ?
J’ai donc décidé de ne pas prendre l’avion cet été. Du coup, avec mon copain, on part en Bosnie-Herzégovine par voie terrestre, en prenant le train, l’autocar et le ferry. Ça nous revient plus cher, ça va nous prendre plus de temps et donc être plus fatiguant, mais je me réjouis à l’idée de faire cette expérience, de prendre mon temps, de traverser les frontières, de voir le paysage changer. Dans le fond, Paul Bowles avait raison : c’est ça le vrai voyage ! Car contrairement à l’avion, je ne vais pas être parachutée en quelques heures d’un bout à l’autre de l’Europe. Et évidemment, à travers ce voyage, je réduis considérablement mon bilan carbone.
Le gouvernement français vient d’annoncer la mise en place d’une écotaxe sur les billets d’avion à compter de 2020. Cette taxe ira de 1,50 à 18 euros, sur les billets pour les vols au départ de la France.
C’est facile pour une jeune femme privilégiée de renoncer à l’avion
Mais derrière ces considérations écologiques, je ne peux m’empêcher de raisonner en termes de rapports de classes. C’est facile pour une jeune femme privilégiée comme moi de renoncer à l’avion quand on connaît déjà une bonne partie de l’Europe, des Amériques, du Moyen-Orient et de l’Asie. Mais quid de celles et ceux qui découvrent tout juste le plaisir de voyager loin et qui, faute de moyens, ne sont pas prêts à renoncer à l’avion et à ses tarifs très compétitifs ?
En fait, je ne condamne personne ! Chacun fait comme il peut ! D’ailleurs, moi-même, je dois être prudente. Je serai sans doute amenée à faire quelques entorses à mon engagement. Peut-être que je m’autoriserai un grand voyage en long-courrier tous les 2-3 ans si jamais je tiens absolument à me rendre dans des zones du globe vraiment éloignées. Et typiquement, en tant que journaliste, si on me propose des reportages dans des endroits difficilement accessibles autrement que par avion, je ne pourrai qu’accepter. Mais je sais juste qu’à l’avenir, je ferai tout mon possible pour éviter d’emprunter ce mode de transport. Après tout, je connais mal mon propre pays. C’est l’occasion pour moi de mieux visiter la France. Et il me reste encore plein de pays européens à découvrir !
Grâce à un prof de SVT en classe de cinquième, Inseki a pris conscience du péril écologique. Depuis, elle agit par des gestes du quotidien pour préserver la planète. Un témoignage à lire sur le site de la ZEP.
Une dernière chose. L’autre jour, je parlais de ce sujet avec ma mère et figurez-vous qu’elle m’a rappelé que mon tout premier vol, à l’âge de 3 mois, avait été en réalité une vraie catastrophe car j’avais vomi partout, tout du long. Et moi qui fantasmais ce baptême de l’air… Peut-être était-ce déjà le signe d’un désaveu de l’avion ? Allez savoir !
Inès, 25 ans, salariée, Paris
Crédit photo Unsplash // CC madeleine ragsdale