Infirmier à 1630 euros net, je ne suis pas blasé mais épuisé
Cela fait près de six ans que je suis infirmier en psychiatrie dans un hôpital qui a fait parler de lui en 2018 par une grève de la faim réalisée par une partie du personnel soignant. À l’époque, il était question de pénurie de personnel, de bâtiments vétustes et de conditions d’accueil déplorables.
Durant ma courte expérience professionnelle, j’ai eu l’opportunité de me promener dans plusieurs services de soins en psy (neuf au total, au sein du même hôpital), tous différents. Certains mieux lotis que d’autres en termes de nombre de professionnels, de charge de travail et surtout d’émulation intellectuelle.
À l’époque où je travaillais en unité d’hospit’, je me souviens avoir été réellement dérangé par le temps de travail consacré aux soins somatiques (pansements, distribution de médicaments, sondes gastriques, prises de sang, etc.), aux différentes procédures administratives (réunions avec les médecins, appel d’ambulances, traçage des actes réalisés dans la journée, etc.) et par le délaissement presque total des soins relationnels. Au final sur un quart de travail de 7h30, on ne passait que 2h30 avec les patients, divisées par 20 minimum, ça ne fait pas tant que ça et surtout, ça ne permettait pas d’aborder la problématique relationnelle en profondeur.
À l’hôpital, le problème c’est le manque de personnel, et de motivation
Une certaine routine « rassurante » se mettait en place : on faisait le tour pour donner les traitements et réaliser les différentes prises de sang, on demandait au patient s’il allait bien sans réellement vouloir entendre la réponse puisque souvent, il y avait d’autres tâches « plus importantes » à réaliser. Encore aujourd’hui, beaucoup de patients que je vois en consultation m’énoncent cet ennui ressenti lorsqu’ils sont hospitalisés et plus particulièrement la frustration de ne pas « parler » plus souvent avec le personnel soignant. « Je pensais que nous allions avoir plus de temps de parole avec des professionnels et en fait, il s’agit surtout de nous nourrir et de nous donner des médocs, ce n’est pas comme ça que j’imaginais les choses… »
Le 16 septembre 2019, 255 services d’urgence français étaient en grève en France pour dénoncer la dégradation de leurs conditions de travail. Le collectif Inter Urgences, qui regroupe les paramédicaux urgentistes en grève, a créé une carte de France pour les recenser. Sur leur site et leurs réseaux, des infos sur le mouvement social et leurs revendications, dont une tribune publiée dans Libération le 8 septembre dernier.
Après observation et réflexion, j’en suis arrivé à la conclusion suivante : la moitié du problème est liée à une charge de travail importante, probablement liée à un déficit de personnel, la deuxième moitié, quant à elle, à un manque évident de motivation de la part des soignants lié à un manque de reconnaissance de la part de la hiérarchie. La charge de travail évolue, elle est parfois telle que l’on a à peine le temps de dire bonjour à des patients, lorsqu’en unité d’hospitalisation on est deux infirmiers pour 20 patients minimum, on ne peut que très difficilement s’arrêter 30 minutes pour réaliser un entretien. Je me souviens moi-même avoir dit plusieurs fois à mes collègues : « Je n’ai pas vu ce patient aujourd’hui, ce matin l’équipe m’a dit que… » Il faut en plus ajouter à cela des arrêts de travail pour cause d’épuisement et une équipe médicale parfois absente (souvent eux-mêmes victimes d’une surcharge de travail).
Pour autant, j’ai aussi connu des périodes dans les services où on était beaucoup de soignants (par exemple en janvier/février quand il y a peu de personnes en congé et où l’équipe est au complet). Les conditions étaient réunies et malgré tout, les soignants ne faisaient que le strict minimum, c’est-à-dire, les soins somatiques. Je me suis longtemps questionné sur cet aspect du problème. Mes collègues étaient-ils des feignants ? On tend plutôt vers le « À quoi bon ? ».
« Vous faites ça par amour du métier, pour aider les autres »
Manque de formation, peur de ne pas être bon en entretien mais aussi et surtout, absence de réelle méritocratie, manque évident de reconnaissance des efforts fournis : aujourd’hui, rien, absolument RIEN n’est fait pour que les gens aient réellement envie de s’investir plus dans leur travail. Certains diront : « Et le bien-être des patients ? » Oui, enfin l’époque des bonnes sœurs c’est fini. Quand t’es payé 1630 euros net par mois après trois ans d’études atroces (certainement dans le top 3), six ans d’ancienneté et un égalitarisme autoritaire, on reparlera de la motivation à vouloir changer le monde. Grossièrement, si Giselle, 34 ans, ne fait que le strict minimum et que Julien, 27 ans, met en place des projets pour améliorer le confort des patients, qu’il s’investit dans des activités pour ramener de l’argent dans le service (comme gagner des concours de poster durant des congrès ou encore répondre à des appels d’offre de fondations comme la Fondation de France peut le faire), à la fin du mois, Giselle touchera certainement 150 euros de plus que Julien, juste parce que Julien est plus jeune dans la boite (oui, ok, je parle de moi). L’époque des bonnes sœurs infirmières est révolue, malgré tout, on continue de nous tenir par les couilles avec ce bon vieux : « Mais vous faites ça par amour du métier, pour aider les autres. » Oui, la plupart de mes collègues aiment aider les autres, ils aiment aussi être un minimum reconnus dans leur métier. Et c’est je crois, l’une des clefs de voûte de l’amélioration significative de l’accueil et de la prise en charge des patients à l’hôpital.
Volontaire en service civique dans un hôpital, Naissa pensait être accompagnée. Elle s’est en fait souvent retrouvée seule à gérer l’arrivée des patients.
Après avoir longtemps travaillé en service d’hospitalisation, je pratique aujourd’hui un travail en consultation. Les patients vivent chez eux mais viennent en rendez-vous au sein de la structure dans laquelle j’exerce pour y faire un entretien (de 45 minutes environ). Chaque journée débute à 8h30. Je réalise différentes activités : entretiens de thérapie (entretien de traitement concernant une timidité trop importante par exemple) ou encore entretiens éducatifs à la santé (un patient vient d’apprendre qu’il est bipolaire, comment vivre avec cette pathologie ?). Je vois entre sept et huit patients par jour et mes journées se terminent vers 18h30.
Je ne suis pas blasé de mon métier, absolument pas. Mais je suis blasé qu’on prenne pour acquis les efforts que les professionnels peuvent faire tout en étant constamment derrière leur dos pour leur imposer une bureaucratie toujours plus lourde.
Luc, 27 ans, infirmier, Rouen
Crédit photo Unsplash // CC Luis Melendez
La méritocratie n’est pas la solution, parce que cela renforce le pouvoir de la hiérarchie. Le malaise à l’hôpital, c’est aussi que les patients se considèrent comme des clients, et que quand les mobilisations des infirmiers sont réprimées par les flics, il n’y a personne dans la population pour les défendre …
Le côté charge administrative me fait penser à une personne que je connais, une ancienne secrétaire devenue infirmière, qui me disait « puisqu’on nous fait faire du secrétariat, j’ai organisé mon service comme un secrétariat ».