Enseignant.e, c’est une vocation, pas une planque
Aujourd’hui, beaucoup de personnes deviennent professeur.e.s non pas par vocation, mais parce qu’elles n’ont pas réussi à faire autre chose de leur vie ou parce que les horaires les satisfont. On finit tôt, il y a des vacances, etc. Voilà le genre de discours que j’ai entendu sur une radio connue, à une heure de grande écoute.
Je pense que tous les enseignant.e.s ont l’habitude d’entendre de la part de leur entourage des phrases du genre : « Oui mais vous, vous avez beaucoup de vacances. »
Mais ce sont des paroles de NOTRE entourage. Des gens avec qui on peut discuter et à qui on a pleinement le temps d’expliquer que non, toutes nos « vacances » ne sont pas nécessairement des vacances. Des gens qui peuvent, une fois notre situation expliquée, constater que pendant nos vacances nous avons une montagne de copies à corriger ou encore des cours à préparer. Car oui, les cours ne se préparent pas tout seuls, ils n’ont pas encore cette faculté. Ils ne sortent pas non plus tous des manuels scolaires.
Mais lorsque le discours sous-entend (à peine) à la radio, que les « profs » choisissent ce métier uniquement car ils ne savent rien faire d’autre, qu’ils sont des incapables et qu’ils ont beaucoup de vacances, là on ne peut pas vraiment avoir l’opportunité de se défendre.
« Enseignant parce que vous ne savez pas quoi faire d’autre »
C’est ainsi que ce discours est relayé par diverses personnes et arrive aux oreilles des… élèves. Eh oui… la plupart des adultes communiquent avec leurs enfants, ou à la limite communiquent entre eux avec leurs enfants à côté.
C’est ainsi que moi, simple prof d’anglais, je me retrouve une semaine plus tard devant une classe de 25 élèves de 15 ans à peine à devoir répondre à ça : « Mes parents ont dit que les profs, vous faisiez ce métier parce que vous ne saviez pas quoi faire d’autre, c’est vrai ? »
Professeur des écoles, une dévalorisation morale et financière ? En décembre 2019, durant les premiers jours du mouvement de grève, Libération publiait une tribune titrée : « Réforme des retraites : l’interminable dévalorisation du métier de professeur. »
Intéressant de voir que quelque chose que vous avez entendu en voiture se retrouve dans la bouche de vos élèves une semaine plus tard, n’est-ce pas ? Imaginez-vous 30 secondes à la place des élèves. Est-ce bien motivant de se dire que l’adulte en face de moi n’a absolument rien à faire de mon éducation, et ne fait en réalité ce métier que par dépit et/ou profit ? La réponse est, je pense, non. À la place des élèves, je ne serais pas motivée du tout. « À quoi bon travailler ? Après tout, si je suis le raisonnement que j’ai entendu autour de moi… bon bah je n’aurais qu’à faire prof. »
Non, on ne fait pas cinq longues années d’études par dépit
La triste vérité c’est que :
– Non, on ne fait pas le métier d’enseignant.e pour le salaire.
– Non, on ne fait pas cinq longues années d’études (et un mémoire) par dépit.
– Non, on ne décide pas un beau matin de faire un métier où l’on se retrouve seul.e devant une classe de 25-30 adolescents, qui ont bien d’autres préoccupations que rester assis pendant une à deux heures en face de vous pour faire des mathématiques, du français, de la physique ou de l’anglais.
– Non, on ne fait pas ce métier par pure envie de rentrer en conflit au moins une petite fois par semaine avec un ou une élève qui au choix : ne veut pas travailler ; ne veut pas retirer ses écouteurs, son bonnet, sa casquette, son manteau ; a une irrésistible envie de dormir ou de jouer sur son téléphone ; ou a juste décidé qu’il (ou elle) serait de mauvaise humeur. Non, non je vous jure que les professeur.e.s ne sont pas sadomasos et n’aiment pas se faire du mal moralement et nerveusement par pur plaisir. Je vous jure que finir un cours en crise de larmes n’est absolument pas quelque chose dont on rêve toutes les nuits.
– Enfin, non, ramener du travail à faire à la maison le soir, le weekend ou pendant lesdites vacances n’est pas quelque chose de super cool.
Oui, on peut décider de faire ce métier
En revanche, un.e enseignant.e peut décider de faire ce métier :
– Car il aime la matière qu’il enseigne et qu’il a envie de partager cet « amour » ou cette « passion » à d’autre personnes.
– Car les élèves sont pour la plupart attachants et rigolos (rigolo oui, être enseignant.e c’est aussi savoir prendre des petits temps pour rigoler avec ses élèves).
– Car il n’y a rien de mieux que de les voir comprendre le cours et l’appliquer. Et s’ils ne comprennent pas ? Eh bien ce n’est pas grave, on revoit ce qui a coincé. Être professeur.e, c’est savoir être patient. N’est-ce pas satisfaisant de voir, quelques années plus tard, que nos élèves ont réussi et trouvé une vocation qui leur plaît ?
– Car il a envie d’aider et d’être à l’écoute sans porter de jugement. Oui, être enseignant.e c’est avoir une double casquette car certains élèves ressentiront le besoin de se confier à vous, que ce soit pour des choses anodines (des histoires de cœur ou d’amitié) ou des choses bien plus graves (des problèmes familiaux, du harcèlement scolaire ou toutes autres violences morales, physiques ou verbales).
Si c’était si facile, tout le monde voudrait le faire !
On ne peut pas faire ce métier de façon durable sans en avoir la vocation. Et se voir sans cesse rappeler que les professeur.e.s sont des flemmards, qui n’ont pas un métier si compliqué que cela, n’est pas motivant du tout. Si c’était un métier si facile, alors tout le monde voudrait le faire, il n’y aurait pas autant de pénuries de professeur.e.s et le métier ne serait pas tant dénigré. Avant que je me lance dans les études pour exercer ce métier, mes parents, mes ami.e.s, tout le monde y allait de son petit cliché et de sa petite mise en garde. Ceci n’est pas normal ! Je ne voulais rien faire d’illégal enfin ! Juste enseignante !
Dans notre série de témoignages « Parole de Prof », Bernard s’insurgeait également du manque de considération de la profession dans l’imaginaire collectif .
Aujourd’hui, je suis fière de mon métier, je l’aime et, du haut de mes 25 ans, je ne pourrais pas rêver mieux. Oui, c’est un métier parfois difficile mais je ne l’échangerais pour rien au monde. Et s’il y a une infime partie de mes collègues qui font ce travail par dépit, eh bien je suis désolée pour eux. J’espère qu’ils trouveront mieux.
Lexie, 25 ans, enseignante, Paris
Crédit photo Allociné // © Arnaud Borrel (Les Profs, film 2013)