Personnes âgées : leur solitude n’est pas une option
En ce début janvier, le ciel était sombre et le temps glacial. Les fenêtres étaient closes, l’appartement sentait le renfermé. Dans la pièce se trouvait une vieille femme assise sur son fauteuil, coincé entre deux murs. Ses mouvement étaient lents et ses yeux rougis se sont arrondis lorsqu’elle m’a vue entrer dans la pièce. Elle a voulu se lever, mais la faiblesse de ses bras l’en a empêchée. Son regard est devenu dur et sauvage. « Sortez de chez moi », a-t-elle essayé de crier une première fois. « Sortez de chez moi », a-t-elle répété jusqu’à ce que je lui obéisse.
Je suis rentrée chez moi comme si de rien n’était. J’ai essayé de reprendre ma vie comme si rien ne s’était passé, mais je n’ai pas arrêté d’y penser : quand est-ce que cette vieille femme reparlera à quelqu’un ?
Cette expérience s’est passée lors de mes deux premiers mois de service civique à l’association Espérance univers plus à Bondy. Ça m’a marquée, parce qu’à aucun moment j’aurais pu croire qu’un être humain puisse vivre avec autant de peur, seul. Ces personnes sont fragiles et vulnérables. Leur famille les a oubliées depuis longtemps, elles affrontent la vie en solitaire.
Alors mes collègues et moi animons des activités collectives et faisons des visites à domicile avec une association. L’objectif est de les sortir de leur isolement et de créer des liens intergénérationnels.
Il ne fait que regarder la télévision toute la journée
À presque chaque visite que je fais, je constate cet isolement. Je me rappelle de ce monsieur avec sa femme qui nous avait très rapidement ouvert son cœur, nous parlant de choses très personnelles. Sa femme est alitée toute la journée. Son fils, marié, est allé vivre à Paris. Ses deux filles vivent dans la même ville qu’eux, mais ne leur rendent jamais visite. Alors il ne fait que regarder la télévision, toute la journée, en attendant que les aides ménagères viennent nettoyer son foyer et lui tiennent compagnie. À cause de la grève contre la réforme des retraites, personne n’est venu lui rendre visite. Pendant une semaine, il n’a parlé à personne et n’a fait que regarder la télé.
Dans le podcast Vieille Branche, Marie Misset tend son micro à des personnalités âgées de plus de 70 ans. Donner à entendre leurs récits de vie, c’est lutter contre l’invisibilisation de nos aîné.e.s. Une compilation à découvrir :
Des visites comme celles-ci, j’en ai fait des dizaines auprès des plus de 70 ans. Les nouveaux retraités s’inscrivent dans des clubs du troisième âge et vont s’y amuser jusqu’à ce que les maladies arrivent et les immobilisent. Alors ils commencent à sortir moins. Ils restent seuls une journée, puis une semaine, puis un mois.
Mon service civique m’a ouvert les yeux sur la dureté de la vie. J’ai déjà ressenti ce sentiment de solitude, mais je peux sortir dans la rue, emprunter les transports en commun, aller rencontrer du monde. Or, à aucun moment je n’avais imaginé que des êtres humains, dans un pays aussi développé, puissent rester enfermés dans une telle misère. Leur retraite n’est pas suffisante et ils n’ont presque pas d’interactions sociales. Aucun membre de leur famille ne leur rend visite, aucun smartphone ne les connecte. Ils sont socialement abandonnés et exclus.
Sortir de leur routine en jouant et discutant
Cette mission m’a rappelé que la vieillesse n’est pas une option et que cette situation d’isolement extrême n’est pas un cas particulier. Durant ma formation, j’ai appris qu’1,5 million de personnes âgées sont en situation d’isolement relationnel. Selon la Fondation de France sur les solitudes, une personne sur quatre de plus de 75 ans en 2014 n’a pas plus de trois discussions par an. Cet état de délaissement peut toucher tout le monde, même moi. Je commence à angoisser parce je me rapproche doucement de la trentaine, âge des premières rides.
J’ai peur de voir mon visage changer et d’être seule. J’ai peur d’être moche, sans personne pour pleurer ma mort. Il y a peu, l’idée d’avoir des enfants me dégoûtait, mais je veux désormais fonder une famille pour que mes enfants veillent sur moi. J’essaye d’être plus attentive à mon entourage. Pas forcément avec les personnes âgées, mais en général. Je laisse ma place dans le bus, je souris plus dans la rue… J’essaye d’être plus humaine et empathique.
Marine appréhende la mort de son grand-père. Parce que oui, les personnes âgées ce sont aussi des livres d’histoires, des vies entières qui s’en vont.
Il existe des multitudes d’aides pour les personnes âgées. L’investissement de l’État n’est pas efficient mais il est existant. Le service civique en est une preuve. Nous aidons doucement les personnes âgées à les sortir de leur routine en jouant et discutant. Ils retrouvent alors leur statut d’être vivant, et non d’objet de décoration dans leur salon ou dans leur chambre.
Huda, 21 ans, volontaire en service civique, Bondy
Crédit photo Allociné © Magnolia Pictures // Lucky de John Caroll Lynch (film 2017)