Soignants en Ehpad, maltraitants malgré nous
Je suis ergothérapeute en Ehpad et je redoute ce deuxième confinement. Cela fait deux ans que je suis diplômé et que je travaille dans cet établissement, et je me pose déjà la question de mon envie de continuer. Je ne pensais pas, comme bon nombre de soignants, me sentir aussi souvent désemparé et démotivé. Voir mes collègues venir travailler par obligation, plus que par passion, ou en entendre dire qu’ils se contenteront du minimum syndical pour s’économiser, refusant de faire un quelconque effort pour leurs collègues ou leurs résidents.
Je n’étais pas préparé à cette démobilisation et à cette pression constante – la rigueur absolue que nous devons avoir. Une pression d’autant plus forte depuis que cette crise sanitaire a commencé. Pire, je ne pensais pas que cela arriverait un jour, mais nous devenons parfois maltraitants, malgré nous.
Dix à quinze résidents dans la matinée
Dès le matin, c’est le branle-bas de combat ! À peine le résident réveillé, on lui sert son petit-déjeuner sans lui demander véritablement ce qu’il souhaite, puis on lui fait sa toilette à un rythme effréné. Bien sûr, les animatrices proposent aux résidents des activités en lien avec leurs loisirs d’antan, mais trop peu de place est laissée à leurs envies et besoins profonds.
Je ne dis pas cela pour déprécier nos établissements. Mais il faut bien se rendre compte qu’avec dix à quinze résidents dont il faut s’occuper dans la matinée, chaque membre de l’équipe des soignants ne peut pas prendre le temps qu’il devrait pour faire les choses aussi dignement que possible. En temps normal, il faudrait au moins une demi-heure pour prendre le temps de faire la toilette avec le résident, l’habiller et refaire son lit. Mes collègues ont environ quinze minutes, alors même qu’on leur répète de prendre le temps pour favoriser l’autonomie de ceux qu’ils accompagnent.
Fatigués et sous pression depuis de longs mois, les professionnels que nous sommes ne faisons plus attention. On ne voit que l’obligation du travail à accomplir dans le temps qui nous est imparti.
La crise de la Covid-19 a mis en lumière la maltraitance que subissent nos aînés. Mais est-ce vraiment un phénomène nouveau ? Avoir 60 ans sous Louis XV, par exemple, c’était mieux ? Slate.fr s’interroge sur le traitement des personnes âgées au fil des siècles.
Je ne cautionne aucune forme de maltraitance et ne cherche pas à l’excuser. Je me déteste quand je me rends compte que je n’ai pas respecté ma déontologie et mon éthique. L’autre jour, je ne suis pas allé voir une résidente que j’entendais au travers d’un couloir. Elle répétait sans cesse « au secours », comme tous les jours, parce qu’elle s’ennuie. Et si, cette fois, c’était vrai ? Et si elle avait réellement besoin d’aide ? Cette fois-ci, comme d’autres, je n’y suis pas allé. En y repensant, je cherche simplement à comprendre. Comprendre comment nous, professionnels de santé, avons pu devenir si désabusés par ce système, au point de nous écarter autant de ce qui fait l’essence même de nos métiers : prendre soin de l’autre.
Des familles qui vont là où c’est interdit
Puis, je pense à notre situation et au confinement. La première fois, je ne savais pas à quoi m’attendre. Aujourd’hui, je vis avec l’expérience de ces derniers mois. Je vois les comportements totalement irresponsables de certaines familles venues rendre visite à leurs proches. Je repense notamment à une visite familiale. Une personne avait appelé la veille pour venir voir sa grand-mère et savoir sous quelles conditions. L’infirmière lui avait rappelé les gestes barrières en vigueur, en précisant que le service est interdit au public. C’est un service sécurisé, accueillant des personnes démentes déambulantes pour lesquelles un confinement en chambre est impossible, et qui présentent donc un risque de propagation du virus majeur.
Toute visite se déroule dans une salle dédiée, où les familles et les résidents ne se croisent pas, pour éviter tout contact. Les familles signent un registre de visite, se lavent les mains et portent un masque pendant toute la visite. Puis, un soignant va chercher le résident. Tout ce petit monde est alors installé dans la salle, de part et d’autre d’une table qui permet de « garantir » la distanciation sociale, sans pour autant mettre une vitre ou un plexiglas entre eux, qui génèrerait encore plus de frustration.
Le jour venu, l’infirmière a prévenu l’équipe des soignants de son arrivée. Elle portait un masque mais est rentrée dans le service au mépris de la signalétique pourtant très claire sur la porte d’entrée. Je ne remets pas en question l’intérêt de maintenir les liens familiaux de nos résidents. Qui sommes-nous pour leur refuser au nom de quelques gestes barrières ? Simplement, les gens ne se rendent pas compte des efforts qui sont faits pour rendre ces visites possibles. Cela a demandé beaucoup de réflexion et d’organisation, et nécessite une charge de travail supplémentaire chaque jour, à tous : de la secrétaire qui planifie tous les rendez-vous, aux soignants qui réexpliquent les gestes barrières aux familles et amènent les résidents aux points de rencontre. Sans compter que les résidents ne comprennent pas toujours pourquoi ils ne peuvent pas s’approcher ou embrasser leurs proches, et sont parfois plus perturbés par leur visite que si elle n’avait pas eu lieu. Les soignants doivent alors prendre un temps supplémentaire pour les rassurer.
Quel désarroi quand j’ai entendu notre Président annoncer que les Ehpads resteront ouverts aux visites, alors même que je connais les comportements irresponsables de certains.
« C’était toujours tout à la va-vite. » Elsa souhaitait travailler avec les personnes âgées après son bac pro. Mais le mauvais contact avec les aides-soignantes et le rythme effréné lors de son stage dans un Ehpad l’ont fait réfléchir.
Nous mettrons tout en œuvre pour que les visites continuent dans des conditions sanitaires raisonnables. Nous nous démènerons pour que cette deuxième vague se passe comme la première, vierge de tout cas positif dans notre structure. Nous sommes responsables de la santé de nos résidents, mais nous n’y arriverons pas seuls. D’où les multiples appels à l’aide des Ehpads pour dénoncer le manque de moyens matériels et humains, surtout en cette période. Mais vous aussi aidez-nous, restez chez vous.
Lucas, 26 ans, salarié, Tours
Crédit photo Unsplash // CC Jonathan Borba