Parisienne, je veux changer de mode de ville
Métro – boulot – dodo. La routine parisienne que je voulais éviter à tout prix s’était finalement emparée de mon quotidien malgré tous mes efforts pour l’éviter.
Métro : pour mieux le supporter au quotidien, je lis. Retard sur la ligne : ça ne m’énerve même plus, je le prends comme une occasion pour pouvoir plus lire.
Boulot : loin des tours de la Défense, je suis un produit de la « start-up nation » en hypercroissance mais à la cool. Je commence la semaine à 10 heures par un petit-déjeuner d’équipe pour « renforcer nos liens » et surtout, se goinfrer de viennoiseries en se racontant nos potins du week-end. Et notre flemme de s’y remettre aussi. 12 heures pile : j’ai faim et c’est le grand débat sur Slack de : où est-ce qu’on mange ? Puis je ping-pong entre mes réunions et autres calls, KPI (indicateurs de performance) et ROI (retours sur investissements). Loin du burn-out, je monte en compétences et gagne en responsabilités.
Après boulot : encore une fois, je me suis autopiégée en m’inscrivant à un cours de Boot Camp que je ne peux pas annuler. Il faut un esprit sain dans un corps sain.
Avant dodo : sociable, je finis souvent mes journées par un « ok mais seulement UN verre, je ne veux pas rentrer tard cette fois-ci », car il y a toujours un pote de passage à Paris, ou un ancien collègue, un ami d’enfance ou un cousin. Sinon, il y a toujours une nouvelle expo, un nouveau resto à tester, un nouveau bar où sortir. Curieuse, j’aime découvrir tout ce que Paris peut m’offrir.
Dodo : stop, rembobinez, play.
J’étais ce hamster qui court indéfiniment dans cette roue
Au quotidien, Paris et toutes ses possibilités s’offrent à moi, et je règle alors mon temps pro et perso comme du papier à musique. Organiser plus pour toujours pouvoir faire plus car sinon en last minute à Paris… tout le monde est occupé et tout est complet. Et c’est le vide. Et le vide, ça fait peur. Du coup, je remplissais ce vide et chaque trou de mon calendrier : chaque petit-dèj, dèj, verre et autres soirées. Chaque minute devait servir à faire quelque chose. C’était ça ma routine parisienne. J’étais ce hamster qui court indéfiniment dans cette roue. Cette roue que je faisais tourner et même accélérer. Cette roue qui tournait à l’unisson avec les roues de toutes les personnes que je côtoie. Faire toujours plus et pourtant n’avoir jamais le temps pour rien, être busy, sous l’eau et charrette. Et se plaindre collectivement du manque de temps et de cette nouvelle routine qui nous épuise.
Pourtant, cette vie DEVAIT m’aller, je l’avais choisie à la minute près… J’avais malgré tout le sentiment de la subir en étant tiraillée dans cette FOMO (peur de rater quelque chose) quotidienne, ce FAIRE pour ÊTRE : être vue, être reconnue ou être aimée.
J’avais pris de l’avance dans ce ralentissement global
Cette FOMO était devenue intarissable, plus je faisais, plus j’avais besoin de faire. Je me suis même mise à perdre du temps pour en gagner. Je faisais ralentir ponctuellement cette roue de hamster, en méditant ou grâce à un week-end au vert, pour reprendre mon souffle et repartir de plus belle.
Mais j’étais toujours dans cette roue et, que je le veuille ou non, cette roue était imbriquée dans une plus grosse encore qui, elle, ne s’arrêterait pas de tourner. Ayant pris conscience de cela, j’avais le choix : entre nourrir cette grosse roue ou décider d’aller à contre-courant et ralentir. Ne plus l’alimenter et voir ce que ça allait donner. Quitter mon job et accueillir le vide. Ne pas souffrir de cette pression du temps et « être ».
Ce témoignage a été écrit dans le cadre d’une formation de Fertîles, un projet immersif et pédagogique pour s’engager autrement et en commun. Découvrez cette « école de la coopération et de l’engagement, au service des transitions écologique, sociale et démocratique. » sur leur site. Ou en regardant ce reportage du pays des alternatives !
Puis, synchronicité ou pas, la grosse roue a également dû ralentir. Confinement. J’avais pris de l’avance dans ce ralentissement global que j’ai réussi à apprécier. Et être. Je n’étais plus la seule à devoir ralentir et, soudainement, d’autres roues ralentissaient fébrilement autour de moi. La pression du temps s’est envolée. Et si ? Et s’il était possible de faire autrement ? De changer son rapport au temps et d’en profiter plutôt que de le subir ? De ne pas être débordée pour exister ?
L’exode urbain, ça va me faire du bien
Face à l’accélération et à l’ampleur des enjeux climatiques globaux, nous allons avoir besoin de ralentir. Ralentir cette spirale infinie de la croissance économique sur notre planète finie. Décroître, moins consommer pour mieux consommer, en conscience. Ralentir pour se déplacer, voyager, partager des bons moments avec nos proches et s’épanouir. Ralentir pour apprécier l’instant présent qui s’offre à nous. Ralentir pour remarquer, oh tiens, une marguerite, pour se reconnecter au Vivant, à soi, aux autres et à ce qui nous dépasse.
Alors, où j’en suis ? J’ai fait le choix de quitter Paris. Pas de manière radicale et définitive car l’effervescence de cette ville et ses habitants me stimule et me pousse à l’action. Mais j’ai besoin d’être en dehors de cette roue parisienne pour pouvoir l’apprécier. Je vais m’installer en Bretagne, à la campagne, chez mon copain qui vit en yourte. Je vais tourner ma roue, à mon rythme, laisser la place au vide et ne pas le remplir inutilement par peur.
Pas d’exode urbain pour Corinne : changer de mode de vie peut aussi passer par des petits gestes du quotidien. Elle marche à la débrouille dans sa coloc du système D !
Je veux vivre plus sobrement mais plus joyeusement. Moins FAIRE pour plus ÊTRE. Cela ne veut pas dire RIEN faire pour être plus inefficace, mais justement remettre du sens et de la conscience dans mon quotidien pour choisir comment, où et avec qui je dépense mon temps. Permettre à ce lâcher-prise sur le temps de mieux me tourner vers l’action, vers des projets et des personnes qui me tiennent à cœur, à temps.
Eugénie, 28 ans, Guipel
Crédit photo Unsplash // CC Martin Adams