Mosquée de Pantin : trois mois que j’en suis privé
Choqué. Quand j’ai entendu sur BFMTV le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, annoncer que la mosquée de Pantin allait fermer, je n’arrivais pas à y croire. Je lui en voulais un peu, je trouvais ça injuste. Moi, depuis que j’ai 5 ans, j’y vais dans cette mosquée.
Elle se situe tout près de chez nous, aux Courtillières, à Pantin. Dans mon quartier, il y a des grands bâtiments, un terrain de foot, un petit square. Ce n’est pas très grand, mais j’aime bien, c’est calme. Pour aller à la mosquée, il faut traverser une grande route avec un feu rouge et on est arrivés.
On partageait des repas tous ensemble dans la mosquée de Pantin
Tous les jours, mais surtout le vendredi, il y avait beaucoup de personnes qui s’y rendaient. Des familles de différentes communautés. Des Comoriens, des Algériens, des Marocains, des Tunisiens, des Pakistanais, et des Maliens, comme moi. Ça me rendait fier de voir tous ces gens réunis. C’était l’un des endroits les plus importants du quartier, plus que le City stade. Il y avait même des gens de La Courneuve, des Quatre-Chemins ou de Drancy qui venaient à cette mosquée… C’était très chaleureux.
Avant qu’il y ait le COV (Covid-19), on partageait des repas tous ensemble dans la mosquée, comme pendant le ramadan par exemple. On installait des grandes tables en ligne. On était des centaines et chacun ramenait des spécialités de son pays. Nous, on ramenait du thieb, une spécialité du Mali qui est faite avec du riz, du poulet et beaucoup d’huile. Les Comoriens, ils ramenaient du couscouma, c’est un genre de pain avec de la sauce tomate. Les Algériens, ils ramenaient du couscous… Et à l’Aïd, tous les enfants recevaient des cadeaux.
La mosquée de Pantin est fermée depuis octobre 2020 suite à la diffusion sur son compte Facebook de la vidéo du père de famille demandant le renvoi de Samuel Paty, enseignant d’histoire-géographie assassiné peu de temps après. Cette fermeture est aussi due aux soupçons portés sur un des imams de la mosquée d’être « impliqué dans la mouvance islamiste radicale d’Île-de-France ».
Avant, mon père m’emmenait dès qu’il pouvait. C’était notre moment à tous les trois avec mon frère jumeau. Quand mon père est décédé, j’avais 6 ans, mais j’ai continué à y aller avec mon grand frère. Que j’aimais ces moments… D’autant plus que je ne l’ai pas beaucoup connu, alors je conserve ces souvenirs précieusement. Maintenant, j’y vais tout seul, dès que je peux et que j’ai le temps.
Les débats sur l’islam à la télé, c’est sans les musulmans…
Le mardi 27 octobre, elle a dû fermer et je n’en reviens toujours pas. J’pense que c’était pour rassurer les gens parce qu’une personne de la mosquée a relayé la vidéo du parent d’élève qui demandait la suspension de Samuel Paty. Mais depuis, les gens qui habitent aux Courti sont obligés de prier chez eux. Moi aussi, je prie chez moi maintenant, des fois tout seul, des fois avec mon frère. Des fois, je porte un qamis [vêtement long traditionnellement porté par les hommes musulmans, ndlr.] et j’utilise un tapis de prière. Mais je préfère prier avec beaucoup de gens, j’ai l’impression qu’on tisse un lien… Ce lien est la foi dans l’islam : il est recommandé de prier en groupe.
Je vois beaucoup de débats sur l’islam à la télé… La plupart du temps, c’est sans musulmans. Je trouve ça injuste parce qu’ils ne peuvent pas se défendre. À la télé, ils donnent raison aux terroristes qui essaient de diviser la société et je trouve ça navrant.
La fermeture de nombreuses mosquées en France accentue le sentiment d’islamophobie de nombreux.ses musulman.es. Rania aussi se sent attaquée par la République. Voilée, elle aimerait pouvoir marcher dans la rue sans se faire insulter, être embauchée, accéder aux plateaux télé. Bref, ne pas devoir vivre cloîtrée pour se sentir en sécurité.
Depuis, la mosquée de Pantin a été taguée : « mosquée tueur de profs », « justice pour Samuel Paty », « Islamistes égal fascistes »… Les musulmans n’ont fait aucun scandale, et je trouve ça admirable. Il ne faut pas répondre à ce genre de provocation, il faut garder la tête haute et ne pas laisser ces petits cons nous démoraliser.
Hassane, 15 ans, collégien, Pantin
Crédit photo Hans Lucas // © Nicolas Portnoi (Série photo : Arrêté de fermeture de la grande mosquée de Pantin)