Le sport dans le 93, c’est où on peut
Au milieu des six tours de ma cité, mes potes et moi avons aménagé un terrain de foot sauvage entre deux immenses arbres et une immense pierre taillée à trous qu’on a baptisée « Le Gruyère ». Dans ce terrain rempli de pierres du Haut-Montreuil, j’y ai passé mon enfance. À la sortie de l’école, pendant les week-ends et les vacances. J’y ai rencontré mes premiers potes et on s’y ait fait nos premiers bobos.
À notre entrée au collège, on a cherché des terrains de foot avec, au moins, des vraies cages. On s’est aventurés dans le parc à côté. Là-bas, on en a trouvé deux : l’un en terre rouge avec plein de trous à cause des pluies, l’autre en sable blanc, étonnamment régulier. C’était parti ! Les matchs jusqu’à pas d’heure avec des gens qu’on ne connaissait pas.
La recherche d’infrastructures sportives, j’en ai encore un goût amer dans la bouche. Ça nous a dégoutés, mais pas moyen d’abandonner. Vu que, depuis tout petit, on construit nos vies et nos amitiés autour du sport. C’était devenu trop important.
30 minutes à pied pour jouer sur un terrain en herbe
Après quelque temps, on a voulu jouer sur un meilleur terrain, celui de nos rêves : un terrain en herbe et des cages avec filet. Pour ça, la solution facile, c’est le club. Mais quand on a une famille qui privilégie les études au sport et vit en HLM, le club n’est pas une option. C’est pour ça qu’il fallait vadrouiller vachement plus loin, à au moins trente minutes à pied, parfois même jusqu’à une ville voisine. Le problème ? Avec les cours, les devoirs, et la flemme des bus payants, bondés et en retard, on a lâché l’affaire.
On arrivait à la fin de nos années collège et on jouait toujours sur le terrain de la cité et celui du parc. Mais l’impensable se passa, la ville sortit de terre un terrain à cinq minutes de la cité. Bon, ce n’était pas le terrain qu’on voulait : le sol, c’était du synthétique avec des billes qui te faisaient glisser à chaque appui, et les cages des barreaux de fer. En plus, on commençait à devenir grands, et, franchement, à cinq contre cinq dans ce synthétique, ça devenait vachement serré. Pas très motivant tout ça.
Le documentaire Ballon sur Bitume propose une immersion dans des quartiers où le football fait partie intégrante de la vie culturelle des jeunes. D’Argenteuil à Paris, en passant par Sarcelles et Sevran.
Un nouvel obstacle s’est ajouté au manque d’infrastructures : la transition collège-lycée. Les potes qui prennent des filières différentes, vont dans des lycées différents et ont des emplois du temps différents… ça ne m’a pas motivé à continuer le foot. Sur le chemin du lycée, j’avais remarqué un terrain de basket avec des gars qui s’y amusaient. Ces gars-là étaient dans mon lycée et, de fil en aiguille, je me suis retrouvé, moi aussi, sur ce terrain à même pas dix minutes de chez moi.
Et là bim, un des deux paniers nous lâche
C’était le kiff. De plus en plus de monde venait jouer et on devenait de plus en plus fort. Et là bim, à force de marteler les paniers par des tentatives de dunk, un des deux, déjà bancal, nous a lâché. Il est devenu inutilisable. Pas bien grave s’il reste un des deux paniers, non ? Bah en fait, vu qu’il ne restait que la moitié de l’espace de départ pour la dizaine de ballers qui s’y rencontraient, et qu’on voulait s’amuser à fond, être serrés sur un terrain était une grosse limite. Et rebelote : fallait se remettre en quête d’un terrain sur lequel on pouvait tenir.
Vu que mes potes et moi étions à la fin de nos années lycée, on avait la carte Navigo. On pouvait s’aventurer plus loin, et c’est à partir de là que j’ai compris qu’à Montreuil les infrastructures de sport, même si parfois présentes, ne permettaient pas de s’amuser en toute sécurité. Entre les terrains en synthétique glissants (Ruffins, Morillon, Bel-Air) et ceux en bitume craquelés avec des trous partout (Paul Signac, Morillon, Boissière)… Il y en a même un, si tu sautes pour mettre un panier, t’as une chance sur trois de te prendre les cages de foot en acier juste en dessous. En plus d’être penché. Palpitant.
Je crois qu’on a fait pitié aux darons
Arrivés à la fac, à force de poser des questions aux gens qu’on rencontrait, on a fini par se faire une idée d’où il fallait aller pour jouer sur un bon terrain : Paris. « Va à Porte de Charenton, le terrain est cool et y a du monde », « Va à Stalingrad, c’est sous le métro, c’est couvert, tu peux y jouer même quand il pleut. » C’est cool mais bon… Personne pour un bon plan à Montreuil ?
Et c’est là que le miracle arriva. « Y a le gymnase Henri Wallon, des darons ont une association. Allez squatter, c’est le dimanche, peut-être qu’ils vous laisseront jouer. » Je ne sais plus qui nous a dit ça, mais je le bénis encore aujourd’hui. Le gymnase Henri Wallon, c’était parfait : il était à quinze minutes à pied de chez moi, même moins vu que j’y allais en courant pour me chauffer. C’est devenu la destination de tous les ballers de Montreuil, Bagnolet, Rosny, Villemomble. L’hiver, il y avait une centaine de personnes. L’été, entre une dizaine et une cinquantaine.
Je crois qu’on a fait pitié aux darons car ils nous ont laissé un créneau, à nous les jeunes. Fallait juste qu’il y ait un responsable majeur. On se pointait tous les dimanches. Parfois, il n’y avait pas trop de monde, donc on s’amusait. Parfois, il y en avait tellement qu’on faisait une sélection, toutes les équipes ne jouaient pas. Logique quand il y en a une dizaine et que deux heures pour jouer. C’est comme ça qu’on a passé le temps en attendant que notre terrain de base soit réparé. Presque un an juste pour changer un panier.
Je continue à vadrouiller
Aujourd’hui, j’ai fini la fac et je joue toujours avec les mêmes potes. Quand je pense à toutes ces années passées dans le Haut-Montreuil avec eux, je n’en ai que des bons souvenirs. Grâce à la bourse ou à des jobs étudiants, certains sont enfin rentrés en club. Ils jouent deux fois par semaine, sans compter les matchs, la classe non ?
Cissé aussi parle de son quartier, du city stade mais aussi de l’école et de la maison de quartier. Aux Courtillières à Pantin, ces structures mélangent les habitant·e·s, petit·e·s et grand·e·s.
Moi, de mon côté, je continue à vadrouiller. Ça m’a ouvert les yeux. C’est en jouant sur des playground à Paris et Nanterre que je me suis rendu compte des différences avec Montreuil. Tant pis. Un jour, je rentrerais peut-être en club mais, d’ici là, si vous avez des bons plan basket dans Montreuil, n’hésitez pas à partager !
Ahmed, 23 ans, en recherche d’emploi, Montreuil
Crédit photo Unsplash // CC Rex Tavanh