« C’est le vote de ta vie ! » L’indépendance de la Catalogne entre rêves et cauchemars
Dimanche. J’écris à Lea, une amie de Barcelone, rencontrée en Italie. Comme ça, juste pour prendre des nouvelles. Nous avons un bref échange et à la fin elle m’écrit : « Ah, et reste attentive parce qu’aujourd’hui on vote l’indépendance de la Catalogne… C’est une journée historique ! »
Un peu à l’ouest, je n’avais pas lu l’info. Je me mets alors à lire quelques articles sur cette journée qui semble si particulière et si importante pour elle.
Je me plonge dans l’histoire de la Catalogne, ses liens avec l’Espagne, les enjeux… Et je me retrouve à attendre les résultats du scrutin avec impatience, essayant de considérer, de mon point de vue de jeune Française, jeune Européenne, quels sont les enjeux de cette voie de l’Indépendance.
Ils sont énormes. Et difficiles à appréhender.
« Je pense qu’on y est »
Lundi. « Alors, la voie de l’indépendance…? », je lui écris.
« Le parti majoritaire est celui des indépendantistes, ils veulent construire le gouvernement et aller de l’avant. Ça ne sera pas facile parce que l’Espagne est contre l’indépendance de la Catalogne, mais je pense qu’on y est. »
« Mais je pense qu’on y est… » Je retourne m’informer un peu sur l’histoire de cette volonté d’indépendance qui résonne si fort chez une jeune femme barcelonaise de 29 ans. Le poids de l’histoire m’impressionne toujours. Et l’impact de ce parcours parsemé d’embûches vers l’indépendance a probablement marqué des générations de Catalans.
Pour en arriver à « C’est le vote de votre vie », je me dis que les Catalans baignent, quel que soit leur âge, dans cette lutte pour l’indépendance… Qu’ils soient pour ou contre.
J’échange un peu avec Lea sur ce que pourrait permettre, selon elle, l’indépendance. « Avec l’Indépendance, on serait un pays meilleur. Sans oppression de l’Etat, avec plus d’argent, plus de travail, un système social plus efficace. (…) On a l’espoir de construire un pays, de recommencer à zéro. Et que ce soit un pays comme nous le voulons non, et ça, c’est un beau projet. »
Je me sens alors portée par ces rêves. Construire un pays tel qu’on l’entend, avec une politique qui se veut sociale et tournée vers les citoyens. Ça serait probablement difficile parce qu’il y a le monde autour. Et en même temps, avoir cette opportunité, ça fait rêver.
L’indépendance ? « Dangereux pour l’Espagne »
Ceux pour qui ce rêve doit être un cauchemar, ce sont les Espagnols. Au fil des lectures, je me rends compte de l’importance économique de la Catalogne en Espagne. Je lis que l’Espagne, sans la Catalogne passerait du 5e au 14e rang dans les pays européens. Dans un pays confronté à la crise qui frappe l’Europe et d’autant plus l’Europe du sud, je pense que perdre une de ses forces économiques doit être difficile à envisager.
Je me dis donc qu’il serait intéressant d’écrire à Cristina, une amie espagnole, également rencontrée en Italie. D’avoir son opinion sur l’Indépendance de la Catalogne. Lorsque je l’ai rencontrée dans le cadre de mon Service Volontaire Européen en Italie, elle me racontait que si elle était ici, c’était parce qu’en Espagne, il n’y avait pas de travail. Les jeunes ont des perspectives d’avenir de plus en plus réduites dans le pays, et la vie est difficile.
Sa réponse quant à l’Indépendance de la Catalogne témoigne bien des inquiétudes que j’avais pu pressentir : « Je pense que si la Catalogne devient indépendante, ça sera vraiment dangereux pour l’Espagne, parce que d’autres régions, par exemple les Pays Basques, voudront aussi leur indépendance. La Catalogne est aussi une région très importante pour l’Espagne, notamment d’un point de vue économique. Il y a le port, le tourisme… Le sport aussi ! L’équipe de foot de Barcelone est très importante et joue aussi un rôle prépondérant dans l’économie espagnole ! »
Après m’avoir parlé de ses inquiétudes, elle ajoute que pour elle, la Catalogne n’est pas encore près d’être indépendante. « Je pense que ce ne sera pas chose facile pour la Catalogne d’avoir son indépendance aussi parce qu’ils devront changer de monnaie, ils ne feraient plus partie de la zone euro ou de l’UE. Enfin, c’est ce que les politiques disent, on ne peut pas en être sûrs. »
Entre se rassurer et essayer de s’y retrouver dans une situation historiquement et actuellement compliquée, Cristina me fait part de sa position claire vis-à-vis de l’indépendance catalane : « Moi, je suis contre. »
Dans mes échanges avec Cristina, je devine l’inquiétude d’une jeunesse espagnole dans un pays dont la situation économique et politique est déjà compliquée.
Une jeunesse qui veut sortir de la crise
Je fais part de ces inquiétudes à Lea. Je lui pose la question de savoir dans quelle mesure la Catalogne envisage l’Espagne dans son chemin vers l’Indépendance. Parce que je comprends bien que cette lutte est une lutte qui s’inscrit dans le temps, mais le contexte actuel pose tout de même la question des Espagnols qui, dans le cas d’une indépendance catalane, se retrouveraient dans une situation, notamment économique, extrêmement compliquée. Plus qu’elle ne l’est déjà. Elle me répond que le point de vue que je lui expose est très européen. « Ce discours, on l’entend bien. Mais maintenant, on ne pense plus à l’Espagne ! De l’intérieur, ce n’est pas possible de penser au niveau de l’Etat. On a toujours pensé les choses pour la Catalogne : comment faire en sorte que la Catalogne soit indépendante. Penser à l’échelle de l’Espagne, ce n’est pas réaliste. L’indépendance, c’est un projet du peuple catalan, qu’on porte de façon pacifique et démocratique pour être soutenus par l’Europe. Mais jamais en pensant à l’Espagne. »
Et elle ajoute : « Je pense que les Espagnols n’ont pas leur mot à dire. C’est notre affaire. C’est l’affaire d’une autre nation que la leur. On ne leur demandera pas leur permission pour s’en aller! On cherche seulement le moyen de le faire de façon démocratique. C’est une question de justice. »
Je me rends compte d’à quel point cette question est sensible. Sensible dans ce qu’elle implique pour l’Espagne, comme pour la Catalogne, mais aussi sensible dans ce qu’elle est porteuse d’espoir pour la Catalogne et une jeunesse catalane qui ne se sent pas espagnole.
Pour Lea, l’Espagne et la Catalogne sont trop différentes pour ne former qu’un seul Etat et l’indépendance ne serait que justice rendue après des années de lutte et un gouvernement espagnol plus que réticent à se détacher de l’une de ses régions économiques les plus importantes, au détriment de celle-ci.
Pour Cristina, la Catalogne fait partie de l’Espagne, malgré leur différence et malgré son statut autonome, la région devrait être dans une dynamique de fonctionnement coude à coude avec l’Espagne, dont elle fait partie.
D’un côté, les rêves d’une jeune femme qui veut croire en la possibilité de créer un pays meilleur, de l’autre, les rêves d’une autre jeune femme de se battre pour trouver des solutions afin de créer ensemble un avenir meilleur.
Des deux côtés, la volonté de se sortir d’une crise qui frappe l’Espagne – et ses régions autonomes – de plein fouet.
Kanelle, 23 ans, étudiante, Paris, avec Lea Feliu (Barcelone) et Cristina Rubio (Alicante)
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