Soignante : la mort de près, je n’étais pas prête
Dans notre formation, on nous apprend la prévention, les gestes pour éviter les risques d’accident. Avoir les bonnes postures, bien installer la personne dans le lit, le fauteuil, le verticalisateur… Mais on ne m’a pas appris à gérer le stress. Ou la mort. Sur trois ans d’étude, on a dû nous en parler dix minutes.
L’été dernier, j’ai été embauchée en tant qu’ASH (agente des services hospitaliers) dans un Ehpad pendant deux mois. Sauf que je faisais le même travail qu’une aide-soignante. C’est ce que les dirigeants appellent du « glissement de tâche ». Je sortais d’un bac pro service à la personne en alternance. Cet emploi, c’était ma première vraie expérience professionnelle. J’avais fait des stages, mais pas en Ehpad.
Jamais je n’avais fait de toilette par exemple, je ne faisais qu’observer des soins. En deux mois, il y a eu cinq décès et un accident grave qui a entraîné la mort de la résidente. Et j’ai compris que gérer ces situations de « crise », on ne me l’avait jamais appris.
Je suis restée paralysée devant la chambre
Un matin, je faisais les levers et les toilettes, comme d’habitude. Nous étions deux par aile, donc on s’aidait pour les personnes dites « difficiles », c’est-à-dire avec des pathologies graves qui les empêchent de pouvoir se débrouiller seules. C’était le cas d’une des résidentes. Mais ce jour-là, ma collègue a décidé de la faire seule. Je n’étais qu’une remplaçante : ne voulant pas faire d’histoires ou la contredire, je l’ai laissée faire. Alors que je donnais le petit-déjeuner à une autre résidente, j’ai entendu un gros « boom ».
Ma collègue hurlait que la résidente était tombée. Je suis sortie en courant et je suis restée paralysée devant la chambre pendant un dixième de seconde. La tête au sol, avec une mare de sang en dessous et ses jambes encore accrochées au lève-personne. Elle venait de tomber d’un mètre et l’arrière de sa tête avait tapé sur le pied de son adaptable. J’ai couru pour aller chercher les autres aides-soignantes et l’infirmière.
La série documentaire « Infirmier·e·s » de France tv slash suit quatre jeunes infirmier·e·s dans leurs débuts à l’hôpital. En pleine découverte du métier et de ses difficultés, ils·elles se retrouvent rapidement confronté·e·s aux premiers cas de la Covid-19.
Je suis surtout restée en retrait à regarder ce qu’il se passait, comme si j’étais ailleurs. J’ai eu peur que ça se reproduise, mais elles m’ont rassurée et m’ont dit que ça irait. Lorsque que j’ai vu que l’on n’avait plus besoin de moi, je me suis isolée le temps de me calmer un peu. J’étais choquée. Les pompiers sont arrivés au moins une heure après. Elle est décédée à peu près une semaine après l’accident.
On ne connaît ni les risques psychologiques ni les poursuites judiciaires
Plusieurs questions se sont mélangées dans ma tête : qu’est-ce que je dois faire ? Et si ça m’était arrivé ? Si c’était à cause de moi qu’ elle était tombée, est-ce que j’aurais réussi à reprendre une vie normale après ?
Je me sentais mal, je me disais que si j’avais été là, ça ne se serait peut-être pas passé comme ça. De retour chez moi, je la voyais encore au sol avec tout ce sang autour de sa tête. J’ai mis du temps à ne plus voir cette image d’horreur lorsque je fermais les yeux.
On nous parle à peine de la mort alors que c’est un bac où, en général, les élèves commencent tout de suite à travailler dans les services à la personne… On ne connaît pas les risques psychologiques ainsi que les poursuites judiciaires qui peuvent avoir lieu après un accident.
Le matériel n’était pas adapté
Après l’accident, il y a eu des poursuites justement. Ma collègue a été convoquée par la direction de l’hôpital pour vraiment savoir ce qui s’était passé. J’aurais aussi dû être convoquée par la direction pour expliquer ce que j’avais vu, mais mon contrat était fini. Première arrivée dans la chambre de la résidente, j’avais pourtant vu le problème qui avait conduit à l’accident.
Une autre collègue a été entendue, elle était arrivée quelques minutes après moi. Ce n’était pas de la maltraitance ou un oubli, c’était dû à un matériel non adapté à la personne. Au lieu d’avoir un filet, comme un hamac qui prend tout le corps, elle avait juste une sangle de douche qui n’était pas adaptée et a glissé…
Être soignant·e en Ehpad est éprouvant, et la Covid n’arrange rien. Sandra n’arrive plus à suivre le rythme entre le manque de personnel et de moyens ; Lucas, lui, déplore la maltraitance involontaire des résident·e·s de la part des soignant·e·s.
Cette expérience m’a appris que je voulais rester travailler dans le social, mais pas dans les soins. Je sais que je ne pourrais pas gérer des situations comme ça, c’est beaucoup trop dur de voir quelqu’un en très grande difficulté, ou entre la vie et la mort.
Solen, 18 ans, étudiante, Guissény
Crédit photo Hans Lucas // © Nicolas Guyonnet (série photo « vaccination en Ehpad »)