Premier job : « Ce n’est pas une gamine qui va m’apprendre mon travail »
Dès que j’ai eu 18 ans, j’ai souhaité rentrer dans le monde du travail, pour avoir un premier aperçu de ce qui nous attend pour au moins cinquante ans de notre vie. Surtout que l’indépendance financière, ça me faisait rêver.
Après avoir téléphoné à une connaissance de mon père, j’ai direct eu un rendez-vous pour un entretien. C’était pour un poste de vendeuse en magasin de bijoux fantaisistes. Trente-trois heures par semaine. Genre moi, 18 ans, sans expérience, j’allais travailler à temps plein pendant deux mois ? Trop fière, mais grave stressée, j’arrive pimpée comme jamais : petit béret, petit liner, ma meilleure tenue. Je passe l’entretien avec la responsable du magasin de Noisy-le-Grand. Elle est bien placée dans l’entreprise et réputée pour être très pédagogue. Elle m’explique qu’elle me formera, mais que je rejoindrai les équipes de la Défense, aux Quatre-Temps.
Je fais ma période d’essai à ses côtés. À aucun moment, on ne me fait sentir que je suis la plus jeune. Il m’arrive de poser des petites questions que je jugeais idiotes, mais elle me dit : « Il n’y a pas de questions bêtes, je préfère que tu me demandes plutôt que de faire n’importe quoi. » À la fin de ma semaine, je sais à peu près tout faire et je me sens prête à me jeter dans le grand bain ; parce qu’il y a une différence entre travailler à Noisy-le-Grand et à la Défense en termes de flux de clients.
Les quatre soulignent mes moindres erreurs
Mon premier jour, je rencontre mon équipe : quatre nanas entre 22 et 34 ans. Je me dis que ça va aller, elles ont l’air sympa, et elles sont jeunes en plus. Mais les quatre n’hésitent pas à souligner mes moindres erreurs, même les plus futiles. J’ai limite l’impression que ça leur fait plaisir. Au fur et à mesure, je vais au travail la boule au ventre. Chaque jour, je me demande à quelle sauce je vais être mangée.
Un jour, je demande à ma collègue : « Tu peux t’occuper du bon de livraison ? Je n’ai pas eu le temps et je dois aller en pause. Il faut juste l’enregistrer dans la caisse et remplir les cases. » Elle me répond sur un ton sec : « Oui, merci je sais, c’est pas une gamine qui va m’apprendre mon travail quand même », suivi d’un petit rire condescendant. En aucun cas, je voulais lui « apprendre son travail » : c’était juste pour expliquer la situation, où j’en étais, ce que j’avais fait ou pas.
Quelqu’un mettait des erreurs de caisse sur mon dos !
Il ne me restait même pas deux semaines et je faisais tout mon possible pour garder bonne figure et ne pas me laisser (trop) faire, mais, un jour, ça a explosé.
J’arrive au travail, je regarde mon planning et je vois les feuilles bilan de la veille dépasser du classeur. Vous savez, ce moment où vous sentez que quelque chose va mal se passer, que vous n’étiez pas censé voir ça, mais que vous fouinez quand même, comme quand tu stalkes ton crush ? C’est exactement ce qui s’est passé. J’ai découvert que quelqu’un mettait des erreurs de caisse sur mon dos ! J’ai pris les feuilles, je suis sortie de la réserve, je les ai posées devant la responsable et j’ai dit : « Excuse-moi, mais qui a fait les fermetures de jeudi et vendredi ? Pourquoi il y a écrit mon nom dans les erreurs de caisse alors que je ne travaillais même pas ces deux jours-là ? Je ne comprends pas. C’est quoi le problème avec moi ? »
La responsable a à peine pris le temps de me répondre en me disant : « Ah… Je ne sais pas trop, euh je vais voir ça après. » J’ai compris qu’elle n’en avait juste rien à faire.
Pour favoriser l’efficacité de leurs employé·e·s, de nombreux·ses managers encouragent leur mise en concurrence. Mais cela est-il réellement profitable ? Dans un épisode du podcast Travail (en cours), Margot Cherrid s’intéresse aux impacts de la compétition entre collègues.
Cette histoire a facilement été réglée. Un matin, l’une de nos supérieures du siège est venue faire un check. J’ai directement parlé de ce problème et elle m’a confirmé qu’il n’y avait aucun souci puisque je ne travaillais pas ces jours-là. Mon code caisse n’était donc pas enregistré sur les transactions.
Des accusations infondées
Mais comme si ce n’était pas suffisant, mon dernier jour… deux de mes collègues ont l’air un peu affolées. Elles étaient au téléphone avec un modérateur des transactions et elles m’ont direct interpellée. « Euh Léna, dis donc t’aurais pas touché à la carte qui sert à transférer l’argent ? Car le siège nous appelle disant qu’il y a eu une manipulation un peu douteuse et ça ne peut être que toi, tu fais toujours mal les process de tout façon. »
Le modérateur me demande mes identifiants de caisse et me pose des questions de sécurité. Il a vite compris que les accusations à mon égard étaient infondées puisque mes codes caisses n’étaient pas enregistrés. Cette carte n’est accessible qu’avec des codes spéciaux. J’ai dû faire appel à la responsable de Noisy-le-Grand pour calmer le jeu.
J’ai fini la journée en pleurs comme une grosse boloss dans la réserve car j’avais accumulé deux mois de frustration et de colère interne. Savoir que quelqu’un me validait enfin et confirmait bien que je faisais du bon taff, bah ça faisait du bien. Je me suis barrée en disant à peine au revoir. Enfin, c’était fini.
Elle m’a jugée compétente et très dégourdie
À la fin de mon contrat, je suis allée remercier la responsable de Noisy-le-Grand en personne. J’ai pu lui expliquer les diverses situations et ça l’a révoltée. Elle m’a même dit : « Tu étais sûrement la plus compétente et rigoureuse des quatre et c’est ça qui n’a pas plu. » Elle a insisté sur le fait que je devrais plus me faire confiance car, elle, elle m’avait jugée compétente et très dégourdie pour une « jeune de 18 ans » ! Elle m’a d’ailleurs proposé un premier CDD, qui s’est transformé en un contrat étudiant de deux ans. J’ai pu travailler avec elle et son équipe dans son magasin sans aucun problème.
Quand son job d’été en tant que vendeuse a débouché sur un CDI étudiant, Léa était contente. Jusqu’à ce que les réalités du métier l’épuisent physiquement et mentalement.
J’ai compris que le monde du travail, c’était comme à l’école : il y a les bullies, les requins, les « je m’en foutiste » et les rigoureux. Grâce à cette expérience, j’ai compris qu’il fallait vite s’imposer et montrer qu’on n’allait pas se laisser marcher dessus, même si on est jeune. Tant qu’on fait bien notre travail !
Léna, 22 ans, en recherche d’emploi, Montreuil
Crédit photo Unsplash // Alexander Kovacs