Bracelet électronique : dehors, la prison me suit encore
Et voilà le jour « J »… C’est drôle ce sentiment qui m’envahit. Je suis heureuse, mais pas vraiment ! Hors de prison à 7 heures du matin et premier rendez-vous à 9 heures pour la pause du bracelet. Première angoisse : il faut absolument que je sois à l’heure. Et premier rappel de l’incarcération : je ne suis pas tout à fait libre, parce que j’ai mon « copain » le bracelet électronique.
Après quelques années derrière les barreaux, la sortie était certes attendue, mais très angoissante et, surtout, loin d’être un long fleuve tranquille. Le manque d’espace, les barreaux, la vue cloisonnée… Se réinsérer, c’est avant tout une rééducation : effacer les habitudes carcérales pour en reprendre d’autres, celles de la société. En même temps, je dois encore vivre avec le bracelet pour, après… essayer de vivre normalement…
Ma prison à la maison
Prise dans les bouchons, trop d’informations en même temps, trop de paysages, trop de voitures, trop de bruits… J’ai le vertige, mon cerveau est en surchauffe et je voudrais le mettre en mode « pause »…
Retour à la maison, c’est bizarre, et pourtant rien n’a changé. Sûrement le fait de savoir que cette fois, il n’y aura pas de retour… Je suis toujours angoissée, une personne doit venir paramétrer mon appartement pour le bracelet. Deuxième rappel : je fais ma prison à la maison, le bracelet posé à ma cheville droite me rappelle que je dois entrer et sortir à des heures fixes, comme en détention.
La première journée s’achève et je suis très fatiguée.
Huit mois après ma sortie, je dors encore au bord du lit
Le lendemain, j’ai très mal dormi. Je n’étais plus dans mes repères. Moi qui étais habituée à dormir dans un lit très étroit, me retrouver dans un grand lit avec un bon sommier, un bon matelas, un oreiller très douillet, m’a perturbée. C’était trop confortable… D’ailleurs, aujourd’hui, huit mois après ma sortie, je dors encore au bord du lit.
C’est comme les lumières que j’oublie d’éteindre. En prison, c’est allumé en permanence donc on perd l’habitude des interrupteurs. Mon mari me dit en riant : « Ce n’est pas Versailles ici… » Référence à une pub qui passe à la télé !
Troisième rappel : ces habitudes qui perdurent. Pour moi, c’est naturel : elles sont tellement ancrées en moi que je suis conditionnée sans le vouloir. Ne plus avoir de poignées de porte, d’interrupteurs… On me rappelait que j’étais en prison, que je n’étais pas maître de la situation. Idem pour les robinets, j’appuyais et ça s’arrêtait tout seul ! Comme si j’avais été assistée en permanence et qu’il fallait maintenant que je réapprenne à voler de mes propres ailes.
« Oh daronne, vous avez un bracelet électronique ? Waouh SUPER ! »
Le lendemain de ma sortie, je devais me rendre à un rendez-vous. Comme il faisait beau et que j’allais marcher, je m’étais habillée en legging court et basquettes pour être à l’aise. J’avais recouvert mon bracelet d’une bande. Il y avait des jeunes sur un trottoir et, en disant pardon, je suis passée au milieu d’eux. Une fois passée, dans mon dos, j’en ai entendu un qui a dit : « Elle a un bracelet. » J’ai hésité avant de me retourner, mais je l’ai fait en les regardant et j’ai souri, puis j’ai continué mon chemin.
Quatre anciens détenus démontent les clichés les concernant sur France.tv Slash. Un échange à regarder dans ce nouvel épisode d’Étiquette.
Quelques jours plus tard, j’étais en robe longue et mon bracelet était recouvert. Je revenais de mon association, au téléphone avec celle qui me suit, lorsqu’une voiture s’est arrêtée près de moi. Je pensais que le jeune homme voulait un renseignement donc je lui ai demandé ce qu’il voulait et il m’a répondu : « Oh daronne, vous avez un bracelet électronique ? Waouh SUPER ! » Et il est reparti ! J’étais éberluée. J’ai dit à Alix, la jeune femme avec qui j’étais au téléphone : « T’as entendu ? » Elle m’a répondu qu’il ne fallait pas que cela m’empêche de profiter de ma sortie !
Ce bracelet est une humiliation pour moi et bien plus punitif que la prison. Je ne suis qu’une détenue et il me le rappelle tous les jours, au cas où j’aurais eu le malheur de l’oublier. J’aurais préféré aller tous les jours pointer au commissariat.
Un frein pour retrouver du travail
Outre les contraintes horaires, que j’accepte, il est un frein pour trouver du travail vu qu’il se devine quand je me mets en robe. Je préférais être transparente en disant que je sortais de prison, mais cela me pénalisait d’office ! Notamment lors d’un entretien pour un CDI de secrétaire polyvalente, qui était presque validé vu que mon profil correspondait au poste. Le recruteuse a été obligée d’en parler à ses supérieurs, ne sachant pas si mon statut était une entrave. Finalement, elle s’est excusée en me disant qu’on lui avait dit de me diriger vers une association qui place les sortants de prison. J’étais anéantie et j’ai presque failli baisser les bras. C’était mon problème de ne pas vouloir mentir !
C’est par le biais des activités culturelles faites en détention, et surtout grâce à ma coordinatrice culturelle qui a eu vent qu’une association recrutait, que j’ai retrouvé un emploi. Elle en avait fait part à une intervenante avec qui j’avais gardé contact. Aujourd’hui, je travaille en tant que secrétaire de direction pour cette association dans la culture qui recrute des sortants de prison.
Le comble serait que mon bracelet électronique me manque
Ce travail qui me plaît est malheureusement un nouveau rappel de la prison. Et je suis obligée de composer avec quatre personnes masculines avec qui je n’ai aucun atome crochu !
Cela va faire bientôt neuf mois que je suis sortie. Je n’ai pas perdu toutes les habitudes et mon horizon est incertain. Mais j’ai une grande capacité de résilience qui fait que je m’adapte à tout…
Une cellule à ranger, un parloir pour maintenir le lien, un travail ou une thérapie pour supporter… Sept détenus au CD de Melun racontent, dans la série de témoignages « Longues peines, séjours sans fin », le temps qui passe à l’intérieur et qui, dehors, ne les attend pas.
Mon bracelet devrait m’être normalement retiré sous peu, et j’avoue que cela sera une grande délivrance. Pas celle de me sentir plus libre, mais celle de ne plus être angoissée par rapport aux heures, de ne plus devoir faire attention à ne pas le désactiver, de pouvoir m’habiller comme je le veux ! Mais, surtout, cela voudra dire que je suis à nouveau digne de faire partie de la société…
Je crois que j’aurais les larmes aux yeux ce jour-là, mais le comble serait qu’il me manque… toujours à cause de l’habitude… et je suis certaine qu’il me manquera… Espérons que ce soit le moins longtemps possible…
Berry, 63 ans, salariée, Paris
Crédit photo Hans Lucas // © Yann Castanier (Prison de Fleury-Mérogis, extérieur du bâtiment D4)