100 % de réussite au bac, 100 % de pression
Ici, pas de profs absents ni de grève ! Pas de violences ou de racket. Nulle capuche à l’horizon, nulle extravagance vestimentaire. Les codes sont tacites, les personnalités émoussées, les corps et les esprits sont mis au pas et chantent le même refrain : la réussite au bac à tout prix. Voilà dix ans que j’ai pénétré dans l’enceinte de cette école marianiste et cela commence vraiment à me peser.
Le lycée Sainte-M. a bâti sa réputation sur son taux de réussite totale. Ce qui signifie concrètement : aucun droit à l’erreur ! C’est peu dire que ça nous met un peu la pression. Impossible d’être mauvais sinon, la sanction, c’est l’exclusion.
Ce privilège a un coût
D’emblée, le ton est donné et l’objectif posé : il faut accéder aux meilleures écoles post-bac, poser ses pas dans ceux des anciens élèves qui ont brillamment conclu leur scolarité et occupent des postes honorables.
Pour cela, on nous sert des cours ultra complets (et bien sûr ultra compliqués !) dans toutes les matières. On ne lésine pas sur les dépenses. Les salles regorgent d’ordinateurs, d’outils high tech pour les cours de chimie, de tout l’équipement nécessaire à chaque discipline.
Le système éducatif français ferait partie des plus inégalitaires des pays occidentaux, selon France tv. Le documentaire Stress scolaire : l’obsession de l’excellence, du réalisateur Stéphane Bentura, nous immerge dans un collège parisien réputé et permet de mesurer la pression imposée à une partie des jeunes, dans une France a deux vitesses :
Nous sommes des privilégiés et je mesure la chance que j’ai de bénéficier d’un tel enseignement. Pour autant, ce privilège a un coût.
Les frais de scolarité (1 023 euros par an en demi-pension) ne sont pas à la portée de toutes les bourses et nombreux sont ceux qui grattent encore à la porte. Je ne peux pas m’empêcher de penser à l’injustice de cette inégalité. Je connais des lycées qui n’ont pas la moitié de notre matériel… Tout le monde devrait pouvoir bénéficier du même enseignement. Or, c’est l’argent qui semble décider de qui devrait avoir une meilleure école que l’autre.
Alors, quand tu es enfin dedans, que tu fais partie des « heureux » élus, le parcours du combattant commence.
M’échapper de cette prison dorée
La pédagogie de l’excellence se traduit par des journées de dix heures, dont neuf heures de travail constant. Les cours sont chargés et complexes. Chaque minute compte. Il suffit de ne pas arriver à suivre un cours, d’éprouver des difficultés à se concentrer pendant une heure et on est perdu. Dans ces cas-là, aucun secours n’est à espérer de la part des enseignants. Aucune aide, aucune écoute. La mentalité est déplorable : c’est marche ou crève !
Les professeurs, de même que les conseillers d’éducation, ne s’intéressent ni à nous, ni à notre vie. Ils en attendent toujours plus de nous, c’est tout ! Des mauvaises notes ? Une seule réponse : reprenez-vous, sinon c’est le redoublement ou l’exclusion ! Quant à vous aider à comprendre vos difficultés ? N’y comptez pas !
Et il faut encore travailler chez soi, sinon les résultats baissent ! Ainsi, la plupart de mes camarades ne connaissent quasiment personne en dehors du lycée. Ils restent entre eux, ne voient rien d’autre… Ce n’est pas mon cas. J’éprouve le besoin de m’échapper de cette prison dorée.
Le CPE contrôle tout
Une prison dont il est difficile de sortir, même pour une heure de liberté entre deux cours, au déjeuner, ou pour partir un peu plus tôt le soir, tant les règles sont strictes. Ça peut parfois prendre une heure ! Impossible de mettre un pied dehors sans une autorisation de CPE. Si le CPE n’est pas là, c’est pire que tout… Même un mot des parents ne suffit pas : le CPE contrôle tout.
Elles n’appartiennent pas à la même classe sociale, mais toutes les deux s’accordent sur un point : pour elles, l’égalité des chances est un mirage. Aïya redoute de ne pas pouvoir réaliser ses ambitions à cause de là où elle vient, et Jézabel a tout pour réussir mais craint de participer à la reproduction des inégalités sociales.
Je sais que je bénéficie d’un enseignement au top, que toutes les chances sont mises de mon côté d’un point de vue professionnel… Mais d’un point de vue humain ? On ne nous apprend rien sur la vie en société, sur les autres… Notre vie future se fond dans l’incertitude et le flou.
Je travaille de mon mieux pour réaliser mes rêves. Par respect pour mes parents qui font tout pour me donner le meilleur. Mais je ne peux m’empêcher de me demander quel est l’intérêt de cette discipline rigoriste ? Comment s’épanouir ? Affirmer sa personnalité ? Surtout quand tant d’autres élèves aimeraient bénéficier des mêmes avantages que nous.
Henri, 16 ans, lycéen, Bordeaux
Crédit photo Unsplash // CC Emmanuel Ikwuegbu