Être noire au lycée : « Je ne me sentais pas à ma place »
J’ai beau vivre à Paris, le 3e arrondissement c’était un peu un pays étranger pour moi. Il a fallu attendre le lycée pour que je le découvre par accident. Avec l’une de mes camarades de classe, nous voulions nous retrouver dans le même lycée, celui de Simone Weil. C’est dans le Marais, un quartier que je n’avais jamais visité.
En fin d’année, nous avons reçu les réponses de nos choix et j’ai été prise… sans elle. J’ai enquêté autour de moi pour savoir si des amis ou des connaissances allaient dans ce lycée. Personne. Au départ, je me disais que ça pourrait être bénéfique pour moi d’aller dans un établissement où je ne connaissais personne. Que je pourrais faire de nouvelles rencontres.
Presque pas de Noirs
Puis, la rentrée est arrivée. On ne peut pas dire qu’avec Simone (Weil) nos relations aient bien commencé. Les cours débutaient à 14 heures et j’avais une demi-heure pour y aller. Mais en prenant le train à la gare du Nord, devant la foule, je me suis arrêtée, tétanisée. Je ne savais plus où j’étais. J’entendais mon cœur battre. Mes jambes tremblaient. Je réalisais que j’étais seule et que j’allais tomber dans les pommes.
J’ai appelé ma mère qui m’a réconfortée mais, en sortant de la station, nouveau coup de stress. Impossible de me rappeler où se trouvait le lycée. J’ai de nouveau appelé ma mère qui m’a rassurée et, en levant la tête, je l’ai vu juste en face de moi.
Je suis arrivée en retard. Le proviseur était déjà en train de faire l’appel. Il m’a bien fait comprendre qu’arriver en retard à la rentrée, c’était mal vu. Je suis allée directement m’asseoir au dernier rang, tête baissée, pour ne pas croiser le regard des autres élèves. J’ai quand même eu le temps de jeter un œil à la classe. Presque pas de Noirs. Deux filles, moi comprise, et un garçon. Sur vingt-cinq élèves. Une première dans toute ma scolarité. J’étais mal à l’aise alors qu’il n’y avait eu aucun acte déplacé. Je ne me sentais pas à ma place.
J’avais l’impression d’être une étrangère dans la classe
En faisant connaissance avec les autres, la question des origines est venue sur la table. Je me suis aperçue qu’il y avait plus de Juifs que de Musulmans dans la classe. Là encore, c’était une première pour moi. Même les Maghrébins étaient en petit effectif. Ils étaient six à tout casser. Deux filles et quatre garçons. J’avais l’impression d’être une étrangère dans la classe, alors qu’on ne me disait rien. Je me censurais seule.
Je suis une fille très timide, et je me suis encore plus renfermée sur moi durant l’année scolaire. Lorsqu’on m’interrogeait en cours, au lieu de répondre, je me taisais de peur de me tromper et que mes camarades se moquent de moi. J’ai pourtant réussi à me faire quelques amis, mais il a fallu qu’ils persévèrent pour apprendre à me connaître. Ils étaient Noirs, Arabes et même Juifs.
Mes préjugés sur cette communauté se sont d’ailleurs effacés durant cette année. Dans mon ancienne école, j’avais beaucoup entendu que « les Juifs ne restaient qu’entre eux ». Je n’avais pas cherché à savoir si c’était vrai ou pas. Mais là, à Simone Weil, j’ai eu des amis juifs. C’était donc bien la preuve que c’était faux. Eux aussi ont eu des surprises, comme la fois où je suis revenue des vacances de la Toussaint avec des mèches longues alors qu’en partant j’avais les cheveux courts. Pour blaguer, j’ai dit que j’avais pris des médicaments pour les faire pousser, mais j’ai dû dire la vérité car ils y ont cru.
Aujourd’hui, je suis en BTS, toujours dans le même lycée. Finalement, j’y suis à l’aise, et il y a bien plus de diversité que lorsque j’y suis entrée en seconde.
Sarah, 19 ans, lycéenne, Paris