Un divorce c’est deux maisons et un gros sac à dos
C’est assez drôle d’avoir deux maisons, parfois. Après les cours, lorsque l’on me demande par où je passe, je donne une réponse différente chaque semaine. À force, le « par où tu passes ? » se transforme en « t’es chez ton père ou chez ta mère ? ». J’ai deux chemins pour rentrer de l’école. Je n’ai jamais eu honte de dire que mes parents étaient séparés.
Je ne sais plus quelle a été ma réaction quand mes parents m’ont dit qu’ils allaient se séparer. En revanche, je me souviens très bien de comment l’annonce s’est passée… Il faisait beau et le soleil illuminait le salon. C’était en août 2012. Mes parents m’ont dit de venir et je me suis assise entre eux sur le canapé. Ils avaient tous deux l’air un peu solennel et tendu, mais je n’y ai pas vraiment prêté attention. J’avais 6 ans.
C’est mon père qui a pris la parole. Il m’a annoncé la nouvelle avec un grand sourire rassurant. Et tous deux étaient d’une douceur… Ils ont vraiment pris des gants. Mon père m’a dit : « En fait, ta mère et moi… on n’est plus amoureux. Ça arrive parfois… » Puis, je crois que ma mère a ajouté : « Tu te souviens quand tu nous disais d’arrêter de nous disputer ? Eh bien voilà, entre nous, ça ne va plus. » Je n’ai pas compris ce que cela signifiait. Ils ont dit qu’ils allaient se séparer, puis, de fil en aiguille, mon père a déménagé.
Le Monde s’est penché sur un phénomène nouveau : de plus en plus de parents divorcés organisent leurs nouvelles vies et s’accordent dans les moindres détails pour que les enfants souffrent le moins possible de leur séparation.
« La garde alternée, ça marche si on habite l’un près de l’autre et qu’on s’entend bien » : comment des parents séparés innovent pour leurs enfants https://t.co/VWrOFbmprs
— Le Monde (@lemondefr) May 1, 2021
Dans mes souvenirs, je n’ai pas pleuré et je n’ai jamais voulu qu’ils se remettent ensemble. Mais je sais que c’est faux. Ma mère me l’a dit. Comme tous les enfants à qui cela arrive (en tout cas si le motif du divorce est vraiment juste une question de sentiments), j’ai souhaité que mon père rentre à la maison. Depuis, j’ai grandi. Malgré tous les changements engendrés par le divorce, je n’en ai jamais voulu à mes parents. Je sais qu’ils ne s’aimaient plus et qu’ils sont heureux séparés.
Partager inégalement les jours entre mes parents
Au début, mon frère et moi allions chez mon père une semaine sur deux, seulement le week-end. Parfois, dès le vendredi, ou même dès le jeudi. J’étais jeune et mes parents s’occupaient de tout : gérer les affaires scolaires, les voyages quand nous changions de maison… Du coup, je n’avais pas à m’en soucier. Très vite, j’ai exprimé mon désir d’aller plus souvent chez papa. Cela me semblait injuste de partager inégalement les jours entre mes parents. Maintenant, nous sommes passés en alternance, une semaine sur deux. Ma mère avait refusé au début car mon frère était très jeune et qu’elle estimait qu’il avait plus besoin de la présence maternelle. Finalement, il a grandi et a exprimé le même désir. C’est la pédiatre qui a convaincu ma mère. Il y eut donc un changement d’organisation mais il suffisait qu’on vienne nous chercher à l’école, mon frère et moi.
On pourrait penser que c’est compliqué de faire la navette entre deux domiciles chaque semaine. Mais nous sommes tellement habitués mon frère et moi… que je ne saurais le dire. De toute façon, lorsque j’étais en primaire, on venait me chercher à l’école. Maman habitait juste à côté de l’école. Chez papa, c’était un peu loin, du coup, on prenait le bus. Mais c’était l’aventure ! Le plus gros inconvénient était de se lever plus tôt. Et parfois, pour avoir le bus, je devais partir sans avoir terminé mon petit-déjeuner. Pour le transfert des affaires scolaires et compagnie, nous n’avions pas beaucoup à nous en faire puisqu’elles restaient dans la salle de classe.
Treize kilos sur mon pauvre dos
C’est au collège que les choses se sont gâtées. J’étais chez mon père le lundi de ma rentrée en sixième et je devais rentrer chez ma mère le soir. Mais j’ai réalisé en sortant de l’établissement que toutes mes affaires scolaires étaient chez lui ! Je suis allée chez mon père et j’ai fourré dans mon sac absolument tous mes cahiers. Puis, je suis repartie chez ma mère. À pied. La rue était en pente et j’ai dû tout grimper avec plus de six kilos sur le dos. Alors même que je n’étais qu’une frêle élève de sixième. J’ai appelé ma mère sur le chemin pendant que je souffrais le martyr et j’aurais volontiers abandonné mon sac à dos dans la rue. J’ai quand même réussi à rentrer. Trempée de sueur et épuisée. Il a été décidé que les affaires resteraient chez ma mère et qu’après le collège, je rentrerai chez elle, puis que papa ferait un crochet pour me récupérer là après mon frère.
C’est en plein confinement que les parents d’Emeline ont décidé de divorcer. Coincé·e·s entre quatre murs, leur appartement est devenu un champ de bataille permanent.
Depuis, la solution a évolué. Maintenant, je suis au lycée donc c’est moi qui gère. Le lundi, après les cours, en semaine impaire (chez ma mère), comme je n’ai école que l’après-midi en raison de la pandémie, je pars le matin de chez mon père avec toutes mes affaires, les dépose chez ma mère, mange, puis me rends en cours. En semaine paire (chez mon père), c’est l’inverse, je n’ai cours que le matin. Je vais donc en cours, puis je rentre manger chez ma mère et vais chez mon père avec mes affaires dans l’après-midi. On a changé de solution par souci pratique mais aussi parce que je suis assez « grande » pour me démerder toute seule. Enfin… le sac, je l’ai pesé. Je dois porter treize kilos sur mon pauvre dos. Mais bon. Il y a largement pire que moi dans la vie, je ne vais pas me plaindre.
Divorce : « Je n’ai pas deux fois plus de cadeaux »
Alors oui, c’est vrai, je fête Noël deux fois, et trois fois mon anniversaire. Une année sur deux, la personne chez qui je fête Noël le 25 décembre change. En général, le deuxième se fait le premier de l’an. Ce n’est pas « cool » hein, je n’ai pas deux fois plus de cadeaux ou je ne sais quoi. J’ai toujours autant de membres dans ma famille !
Je pense que tout le monde préférerait une famille unie pour les fêtes. Moi aussi, un peu. Je n’ai qu’une seule famille. Comme tout le monde. Elle est juste coupée en deux par une union brisée.
Tsuki, 15 ans, lycéenne, Nanterre
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