Trop intello pour être populaire

Donnez-moi un problème de maths ou de physique, une rédaction à écrire, je m’en occupe. Mais me faire des amis, pendant longtemps, je ne savais pas. 

Je suis « la première de la classe », celle qu’on aime bien quand on n’a pas fait un devoir, mais qu’on regarde avec un sourire en coin dans la cour… Mes camarades de classe m’ont longtemps vue comme celle sur laquelle on peut pomper les devoirs, mais jamais comme quelqu’un avec qui sortir, s’amuser, discuter. Une étiquette avec laquelle il n’était pas facile de vivre tous les jours. 

On disait que j’étais « dégoûtante »

Mon souvenir le plus ancien de l’école est ma rentrée en CP. J’avais emménagé dans une nouvelle ville, je ne connaissais personne. Le premier jour, je me suis assise au fond de la salle et une fille est venue à côté de moi. Elle était nouvelle, elle aussi. On est vite devenues amies, on faisait des concours à qui réussirait à finir de lire un livre la première. On était les deux plus rapides, c’était super ! 

À la fin de l’année, on avait cinq livres d’avance par rapport aux autres. Puis, vint l’année du CE1 : on n’était pas dans la même classe, donc on s’est perdues de vue… C’est à ce moment-là que j’ai commencé à lire seule dans mon coin, à la bibliothèque de l’école d’abord, mais rapidement j’avais tout lu. J’ai donc commencé à amener des livres avec moi, à l’école. Dans la cour, pendant les récréations, je lisais sous les arbres, seule. 

Au collège, j’étais toujours seule, à lire des livres de plus en plus gros, de plus en plus intéressants, où je pouvais me réfugier. Hermione, Sophie ou encore Mickael Veil étaient mes amis : je les suivais dans leurs aventures pleines de magie ! Mais ce n’était pas la vraie vie… En classe, on commençait à me demander les réponses pendant les contrôles. À part ça, j’étais exclue, mise à l’écart. C’est allé très loin, au point qu’il y a eu des rumeurs sur moi, disant que j’étais « dégoûtante », que je ne me lavais pas… Les gens n’osaient même plus me toucher ! C’était très dur, même si je ne montrais pas que tout cela m’affectait. 

« Populaire », à ma manière

Avant l’entrée en quatrième, j’ai encore déménagé. Là, mon père m’a dit : « C’est l’occasion de te faire de nouveaux amis, ils ne te connaissent pas ! » Il a toujours voulu que j’ai des amis, que je ne reste pas seule, car il pensait que ça venait de lui, étant solitaire aussi. Alors, le premier jour dans ce nouveau collège, j’ai essayé. Je n’ai pas tenu une semaine. J’ai ressenti que je n’arrivais pas à m’intégrer. Je me suis rendu compte de quelque chose : je ne savais pas comment faire pour avoir des amis. Alors, j’ai repris mes livres, retrouvé le chemin du CDI et recommencé avec ma solitude. 

Mais, cette fois-ci, c’était différent. Les gens venaient à moi sans problème, discutaient cinq minutes, et repartaient. Ça me suffisait. Je discutais avec un camarade de cinquième de mon livre, ensuite du contrôle de maths de demain avec quelqu’un de ma classe. Puis du prof d’histoire qui était vraiment bien et très drôle avec encore quelqu’un d’autre ! Je prêtais des livres à tout le monde, on me demandait des conseils de lecture. Je connaissais tout le monde grâce à ça : un trafic de livres assez monumental s’est mis en place au collège… J’étais devenue « populaire », à ma manière.

Intégrée, sans renier qui j’étais

Le grand changement a été le lycée. Je suis arrivée sans trop d’espoir, me disant que le schéma ne changerait pas… Mais ce fut tout le contraire ! Dès la première semaine, malgré le fait que je sois toujours le nez dans mes livres, plusieurs personnes se sont rapprochées de moi, jusqu’à ce qu’on devienne amis. 

Chacun·e sa méthode pour se faire des ami·e·s. Luc aussi a eu du mal à s’intégrer à l’école : c’est en ligne, sur Discord, qu’il a rencontré ceux et celles qui lui correspondaient.

Pour la première fois, j’avais le numéro de téléphone de plusieurs de mes camarades, on m’a intégrée au groupe Snapchat de la classe, je parlais avec tout le monde. Tout ça sans renier ce que j’étais : une « dévoreuse de livres » rêvant de magie et d’aventure ! Toutes mes amies savent et acceptent que je sois à la fois avec elles et dans mon monde rempli de créatures fantastiques.

C’est ce qui m’a permis d’avancer : parler avec des gens qui ont la même passion que vous, je crois que ça aide à « apprendre » les relations sociales, à comprendre comment ça marche… Ils vous acceptent sans que vous ayez besoin de renier votre identité ! Aussi, plus le temps passe, et plus les gens mûrissent : ils ont heureusement de moins en moins tendance à vous mettre dans une case et à vous juger, selon si vous correspondez à ce qui est « populaire » ou pas dans la cour de l’école.

Jeanne, 15 ans, lycéenne, Marseille

Crédit photo Pexels // CC cottonbro

Le stéréotype de « l’intello »

Il apparaît dès la petite enfance

Les jeunes enfants cherchent à attirer l’attention de l’enseignant·e, ce qu’arrive à faire le ou la premier·e de la classe. Il ou elle est alors souvent mis·e à l’écart. Au collège, ce phénomène existe toujours, mais surtout parce que « l’intello » est celui ou celle qui se distingue, à un âge où il est mieux vu de se fondre dans la masse.

Il évolue au lycée 

Le lycée est une période où il est de bon ton de marquer sa différence, soit physiquement, soit par sa personnalité. Se distinguer des autres par ses résultats scolaires est donc plus souvent accepté !

Il reflète un système scolaire inégalitaire

Ce stéréotype part du principe que la réussite scolaire est synonyme d’intelligence. « L’intello » a peut-être des facilités à apprendre par cœur, un système de pensée correspondant aux normes scolaires, ou des parents qui lui ont donné accès à une certaine culture. Tout ça n’a rien à voir avec l’intelligence.