Ma peur de l’avenir a joué dans mon orientation scolaire
Enfant, on m’a offert une trousse de médecin, une poussette, des bébés en plastique, une maison de poupée. Tout pour imaginer et mimer un avenir possible. Et puis, cette question que les grands aiment poser : « Tu seras quoi quand tu seras grande ? » Petite, c’était sûr, j’allais être ostéopathe.
Pendant longtemps ça a été facile. Par exemple, au collège il n’y avait pas vraiment de choix à faire. En troisième, même avec le brevet, il n’ y avait pas vraiment de quoi s’inquiéter, malgré le discours d’accueil de la directrice.
Trouver son avenir, c’est faire des concessions
L’orientation arrive à grand pas avec des bottes de sept lieues percées. Je veux toujours être ostéopathe. Je sais que le passage au lycée ne sera pas un problème. Mais je ne veux pas aller dans mon lycée de secteur : trop de mauvais souvenirs dans mon quartier et hors de question de revenir en arrière. Si on me force à y aller, je ferai en sorte d’être renvoyée. Beaucoup ne comprennent pas pourquoi je refuse d’aller dans cet établissement si bien noté. Pour des histoires de harcèlement en primaire ? Mais les gens changent et l’orientation c’est quelque chose de sérieux.
Comme je veux devenir ostéopathe, je dois faire une filière scientifique, puis, suivre une première année de médecine avant de me spécialiser. Je suis en troisième et j’ai le temps de réfléchir à tout ça. Mais, je sens que je vais avoir du mal, parce que je déteste les mathématiques. Huit heures de maths en terminale, pour faire le métier de mes rêves, ça me semble faisable. Je ne supporte pas non plus les dissections et toutes autres opérations. En réalité j’aime les langues et la littérature. Alors le doute s’installe.
J’ai plus de chance d’être acceptée dans le lycée scientifique, car les dérogations sont plus faciles. Faire ce choix implique de décider dès maintenant, à 13 ans, de ma future filière et mon avenir. Soudain le jeu n’est plus drôle et je sens que j’ai besoin d’aide. Fin du deuxième trimestre, je fais aussi des cauchemars qui me hantent dans mon choix de filière et de lycée. Ils me poussent à faire le choix définitif de la voie scientifique. Pourtant, une part de moi-même n’est plus du tout convaincue qu’elle pourra supporter les obstacles. Alors quelle peur écouter ?
Mes craintes ne semblent pas légitimes
Arrivent les « fiches navette » où il faut inscrire nos premiers vœux d’orientation, avec elles on retrouve les conseils avisés de notre professeure principale. Elle est très bienveillante, et le jour où elle nous a annoncé qu’elle allait nous prendre en petits groupes pour discuter avec nous, j’ai eu bon espoir.
Les groupes se forment, nous sommes une petite dizaine autour d’elle. Elle se tourne vers chacun de nous et elle nous demande si nous avons une idée d’orientation. Elle discute aussi de nos résultats, de nos préférences et de nos difficultés. Quand arrive mon tour, elle me dit en souriant que pour moi, il n’y aurait pas de problème. Vu mes résultats, je pourrai faire ce que je veux. Selon ma prof, j’ai de la chance. Immédiatement, elle se tourne vers le suivant et je me retrouve muette, avec toutes mes questions hurlant dans ma tête. Absente, je l’observe en silence prodiguer ses conseils aux autres.
Eux, sont en difficulté et ils ont besoin d’aide. Mes craintes à moi ne sont pas légitimes, comme je peux faire ce que je veux. Alors, qu’importe si je ne sais pas ce que je veux et si ce choix me fait peur ? Cette phrase qui se voulait inoffensive et qui aurait dû me rendre fière, m’a soudainement retiré le droit de douter et m’a donné l’obligation de réussir. Je dois donc voir mes objectifs en grand pour les atteindre, je n’ai plus d’excuse puisque j’ai les capacités.
Fin du troisième trimestre. J’ai demandé le lycée général proche de mon collège et je l’ai obtenu.
La chance de ne pas me poser de questions
En seconde, je demande la filière littéraire. Je ne serai pas ostéopathe, mais j’ai des étoiles dans les yeux : je vais faire quelque chose qui va vraiment m’intéresser. Première, les résultats suivent, peu importe si l’envie n’y est plus. Terminale, Parcoursup. Cette fois-ci c’est clair, l’objectif de cette année c’est deux choses : le bac et l’orientation.
Pour le premier, il ne devrait pas y avoir de problème, pour le second, il n’y a pas le droit d’y en avoir. En vie de classe, avec notre professeur principal, nous discutons de notre situation, un par un, mais encore une fois mon tour ne vient jamais. Pas de phrase d’explication cette fois, mais pour tout le monde c’est très clair, pour moi il n’y a pas de problème : je suis en L, j’ai de très bons résultats, j’irai en prépa. Encore une fois, je dois avoir de la chance de ne pas avoir à me poser de questions. Je n’arrive pas vraiment à comprendre de quels pouvoirs magiques je suis censée être dotée.
Et puis soudain, plus rien n’est possible. Mes notes chutent d’un seul coup, je suis de plus en plus absente en cours. Jour après jour, je n’aimais pas ce que je faisais au lycée, mais je savais que je ne faisais que le supporter. Ne pas savoir ce que je fais c’était seulement autorisé quand j’étais petite, une fois que je suis devenue grande, je n’avais plus le droit de douter sur mon avenir. Pourquoi ceux qui réussissaient moins bien, ou d’une manière moins visible, avaient droit à la parole et pas moi ? Pourquoi je n’avais pas le droit de ne pas savoir, d’avoir besoin d’aide ou encore, de ne pas vouloir saisir cette chance que j’avais d’intégrer une prépa ?
Ma peur de l’avenir a pris le dessus
Je vais de moins en moins au lycée. J’ai peur de me lever le matin et de me coucher le soir. Je ne prends presque plus mes cours en note. Même si je continue d’aller au lycée tous les matins, je finis rarement la journée. Je ne supporte plus ce lieu, uniquement tourné vers un avenir qui pour moi n’existe plus. À la fin du deuxième trimestre, j’ai demandé une prépa littéraire sur Parcoursup mais j’ai plus d’une centaine d’heure d’absence sur Pronote [logiciel de gestion de la vie scolaire, ndlr]. Mes parents reçoivent des messages d’absence tous les jours. Je n’ai pas mis les pieds dans certaines matières depuis des mois, car elles ont lieu en fin de journée. Je m’endors systématiquement en cours.
Quand le confinement arrive je suis soulagée : je n’ai plus à aller au lycée. Ma peur du futur devient soudainement un peu plus légitime, puisque tout le monde n’est plus certain de rien. Les résultats de Parcoursup tombent, je suis prise en prépa. J’y passe deux mois.
Quand je suis partie mon prof ne comprenait pas, j’avais de bons résultats : 13 de moyenne générale en prépa c’est vraiment bien. Alors, pourquoi partir ? L’année prochaine, c’est la fac, en Sciences du Langage, pourtant je ne sais plus conjuguer un verbe au futur.
Adélie, 18 ans, étudiante, Villeurbanne