Aïden L. 28/06/2022

Ma dépression, ma plus longue relation

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La dépression, Aïden la côtoie depuis des années. Malgré une profonde fatigue, il essaie aujourd'hui d'être heureux grâce à l'écriture.

Un parmi tant d’autres. Je pourrais être ton prof, ta sœur, ton meilleur ami. L’inconnu dans la rue, cette personne dans le métro, la figure au fond de la classe. Je ne suis qu’un visage dans la foule, juste un simple gars. Un gars en dépression, parmi tant d’autres.

Ça n’a rien de si particulier, la dépression. Ma tranche d’âge, 15-24 ans, est particulièrement touchée depuis le début de la crise Covid. Vraiment, je ne suis pas spécial. Je suis juste moi, 20 ans et toutes mes dents pour sourire à un diagnostic maintenant plus si récent. 14 février 2021. Une Valentine plutôt inattendue, ma dépression. Ou peut-être pas tant que ça : après tout, je la courtise depuis plusieurs années.

Des « jours comme ça »

Au collège, sa présence était vague, presque imperceptible. J’ai toujours été un enfant calme et livresque, refermé sur moi-même, mon univers dans la tête, les yeux perdus dans le vide. Et il y avait des « jours comme ça », où tout semblait plus sombre, sans raison. Des jours où la vie semblait inutilement compliquée et où je me disais que, vraiment, j’aurais dû retourner me coucher.

Au lycée, elle était un peu plus présente, la dépression, pointant le bout de son nez ça et là. Pas si étonnant, c’est à cette époque que j’ai découvert ma transidentité (mais ça, c’est une toute autre histoire). Et, avec elle, un joli paquet de problèmes et d’épreuves à surmonter. C’étaient toujours des « jours comme ça », mais plus fréquents. Des jours où se lever était une épreuve, où la simple idée de me rendre en classe me mettait les larmes aux yeux, où j’étais submergé par le bruit et la vie, et où je me noyais.

Cependant, la dépression a véritablement attendu le premier confinement pour venir s’installer confortablement dans mon espace vital. Après le lycée, j’avais déménagé de Nantes à Angers : changement de ville, changement d’air, à moi la liberté d’un studio loin de ma famille étouffante. La première année de licence fut calme : j’avais enfin la possibilité d’être moi-même, je rencontrais de nouvelles personnes et tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes. J’étais heureux.

Ma couette comme seul horizon

Puis la crise sanitaire est arrivée, et tout est parti en vrille. Personne n’était préparé pour ce premier confinement et, de ce fait, rien n’était prêt. Je ne possédais pas de box internet à l’époque, uniquement mon téléphone qui servait de relais 4G pour mon petit ordinateur. Suffisant pour écouter des audios et parcourir les PDF envoyés par les professeurs, mais insuffisant pour participer aux visioconférences. En plus de cela, mon forfait n’était pas extensible. Il fallait rationner : les partiels commençaient fin avril.

Je me suis retrouvé isolé, très vite. Seul dans dix-huit mètres carrés, avec le monde à portée de main et pourtant si distant. Au fil du temps, ma condition s’est dégradée. La solitude pesait, la fatigue était omniprésente et la motivation inexistante. Mon lit était devenu mon lieu de sommeil, de travail, de repas et de détente, ma couette comme seul horizon.

Plus le temps a passé, plus la situation s’est aggravée pour qu’au final, je ne sois rien de mieux qu’un gâchis total : lové dans mon lit toute la journée sans la moindre énergie, volets fermés malgré le grand soleil dehors, horaires de sommeil allant de décalés à tout simplement inexistants, hygiène hasardeuse, prise de repas erratique, appartement ressemblant plus à une décharge qu’à un espace de vie… J’ai perdu huit kilos, toute motivation pour quoique ce soit, presque loupé mon année.

Le confinement est passé, j’ai trouvé un boulot d’été qui m’a permis d’oublier à quel point je me sentais mort à l’intérieur et j’ai continué d’avancer, bon gré mal gré. J’ai eu la chance de trouver un CDD de deux mois en tant que vendeur dans un magasin de vêtements, donc mes journées étaient bien remplies. L’interaction avec les autres m’a aidé à me sortir de mon apathie et en mettant des produits en rayon, en étiquetant de la marchandise des heures durant, j’ai découvert à quel point les tâches répétitives étaient apaisantes.

Je préférais dire que j’allais bien

Puis, rebelote, à peine un mois après la rentrée des classes, nouveau confinement. Génial, vraiment. Je suis allé chez ma mère cette fois, ne me faisant pas confiance pour survivre à un autre confinement seul. J’avais déjà tenté le diable une fois, je ne comptais pas remettre le couvert. Ma mère avait déménagé dans un nouvel appartement, grand et lumineux. Je l’ai donc rejointe, tant pour profiter de sa connexion internet que pour qu’elle me mette, littéralement, un coup de pied aux fesses.

Ce deuxième confinement s’est beaucoup mieux passé, bien qu’il ait amené quelques discussions inconfortables. Sur ma baisse de motivation, sur mes notes, sur ma manière de gérer les choses… Ma mère comprenait, bien sûr, que la situation soit difficile pour moi mais, à cette époque, elle n’imaginait pas que ce soit aussi grave qu’une dépression – encore non-diagnostiquée – ou même que la situation avait été si compliquée pour moi lors du premier confinement. Puisque j’avais préféré dire que j’allais bien quand elle me téléphonait, plutôt que d’expliquer la réalité.

Comment je gérais les choses, me direz-vous ? Réponse : mal. J’étais suivi de manière régulière par un psy avant le premier confinement. Psy que je fuyais depuis des mois. Parce que je savais ce que j’avais. Oh, ne vous inquiétez pas, j’avais bien compris que je n’étais pas seulement déprimé, mais sûrement dépressif. Mais il y a une différence entre le savoir, et être mis devant le diagnostic réel. Finalement, il m’a fallu un quasi burn-out avant que je ne me décide, enfin, à retourner voir le psy. Résultat ? Félicitations, c’est une dépression !

Fatigué d’être fatigué

Merveilleux. Cette dépression, ça va faire plusieurs mois maintenant que je me la coltine officiellement. Elle est collante, toujours à planer sur mon épaule et le moindre faux pas me ramène dans ses bras. Je vais mieux, puis moins bien, puis mieux, puis moins bien à nouveau… Je suis à la dérive dans ma propre vie, j’ai du mal à me concentrer et à trouver la motivation de faire quoi que ce soit. J’ai toujours du mal à prendre soin de moi, me souvenir que je suis censé manger et dormir à des heures régulières. Cependant, j’arrive à me rendre en cours et à interagir avec les gens. Mes notes ne sont pas excellentes et je dois me faire violence pour travailler, mais j’arrive à suivre. J’ai même trouvé un petit boulot à temps partiel sur mon campus, comme bibliothécaire.

Néanmoins, j’ai vu le grand retour des « jours comme ça ». Ces jours qui semblent juste, pour n’importe quelle raison, pires que d’autres. C’est épuisant, honnêtement. C’est épuisant de se sentir épuisé. N’avoir ni motivation ni énergie alors qu’il y a tellement de choses à faire, tellement de devoirs et d’obligations. Je suis dans ma dernière année de licence, là où tout s’accélère, où l’avenir me tend les bras… Mais tout ce que je souhaite, c’est retourner me blottir sous ma couette et dormir pour le restant de mes jours, avec l’espoir vain que la fatigue qui me plombe les os disparaîtra enfin.

Le pire, dans cette situation, c’est que tout est devenu gris. L’apathie, joli mot pour un état pas si joli. Je ne suis pas devenu un robot sans sentiments, non. C’est juste que tout semble atténué, comme étouffé sous une épaisse couverture de laine sale qu’on aurait oublié dans un grenier poussiéreux. Les mauvais sentiments semblent toujours plus vifs que les bons, les petits moments de bonheur noyés impitoyablement sous la tristesse, la mélancolie, l’ennui, l’agacement… Et je suis fatigué de tout ça, vous savez ?

Un recueil de choses heureuses

Aujourd’hui, je veux être heureux. Alors, un peu sur un coup de tête, j’ai acheté un cahier. Une jolie chose avec un papier crème doux et une couverture rigide, décorée d’un tableau des Nymphéas de Monet. J’ai également acheté deux stylos feutres fins, d’une belle couleur turquoise sombre. Puis, il y a quelques mois, j’ai pris un peu de temps pour moi. Manteau enfilé, affaires dans le sac et portefeuille en poche, je suis allé me promener. J’ai traversé le marché de Noël, regardé les gens vaquer à leurs occupations, j’ai fait quelques achats pour les fêtes. Puis, je suis allé me poser dans un café avec une grande tasse de chocolat chaud et une pâtisserie. Et j’ai écrit.

J’aime écrire comme un hobby et je suis, d’après mes amis, plutôt bon à ça. Mais, pour une fois, plutôt qu’une œuvre de fiction ou un essai, j’ai écrit sur moi. Ce n’est pas vraiment un journal intime ou quoique ce soit de ce genre-là. Plutôt un recueil de choses heureuses. Sur de la nourriture, des endroits, des moments. Sur des gens, des objets ou bien une couleur. Des fragments de souvenirs, quelques rêves que j’ai. Des choses, petites et grandes, qui me donnent de l’espoir et éclairent mes journées.

Isolée, renfermée sur elle-même, triste… Sara a finalement trouvé un remède à sa dépression : les free party.

Une foule de personne de dos, en train de festoyer. Au premier plan à droite, une jeune femme tiens un verre de bière. On aperçoit au loin d'autres personnes en train de danser. Le titre de la publication auquel renvoie l'image est écrit en grande lettres blanches : "Mon bouclier contre la dépression : les free party"

J’ai noté ces choses dans ce cahier et je continuerai d’en noter. La prochaine fois que j’irais mal, la prochaine fois que tout sera gris autour de moi et que j’étoufferai sous cette couverture sale, je prendrais ce joli cahier. Puis, lentement, je parcourrai ces pages couvertes de mon écriture pas si propre et je laisserai ma propre voix, mes propres mots me rappeler que, si, il y a des choses que j’aime.

Des choses qui me rendent heureux, qui valent la peine que je continue de m’accrocher. Parce qu’aujourd’hui, j’ai décidé d’être heureux.

Aïden, 20 ans, étudiant, Angers

Crédit photo Unsplash // CC OB OA

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