Étudiant et salarié : le non-choix de la galère
J’ai aujourd’hui 26 ans et suis étudiante inscrite en Master 1 (seulement !). Le bonheur que j’ai ressenti en tenant entre mes mains mon diplôme de licence n’a eu d’égal que la douleur du long parcours qui m’y a mené.
Après une année de classe préparatoire qui, sans être brillante, n’a pas été un fiasco, je me suis dirigée vers une licence de lettres modernes appliquées à l’université Paris-Sorbonne. La vie à Paris étant ce qu’elle est, avec son lot de complications immobilières et de sorties coûteuses, j’ai commencé à travailler à mi-temps dans un restaurant : ce qui me laissait l’opportunité d’assister à certains cours et de garder une aide financière faible, mais bienvenue. Sauf que la fatigue, voire l’épuisement m’empêchaient bien souvent d’assister à tous les cours de ma licence, spécialement lorsqu’ils étaient programmés à 8h du matin.
La restauration est également un milieu dans lequel les heures supplémentaires sont une constante, et les weekends, que j’aurais dû consacrer à mes devoirs, étaient les périodes les plus prenantes.
Pas une minute pour soi
Après une année de L2 intense, mon quota d’heures travaillées a eu pour conséquence ubuesque la suppression des aides auxquelles j’avais auparavant droit, sauf APL. En résumé : peu de moyens, peu d’aides, plus d’heures travaillées et donc moins d’aides.
J’ai pris la décision de travailler à plein-temps afin de conserver mon appartement. Je ne parle même pas des sorties, qui se sont réduites puisque je n’avais ni le temps ni l’opportunité de consacrer une minute à autre chose qu’au sommeil ou au travail.
Bien sûr, la satisfaction de l’indépendance financière était bien la seule chose qui me permettait de tenir le cap. L’isolement social, en revanche, qui en découlait, était plus que difficile à vivre.
Comment créer des relations avec des camarades de cours lorsque les seuls cours auxquels je pouvais assister se résumaient à un ou deux par semaine ? Comment expliquer à mes amis de toujours que je n’avais pas le temps physique de les voir, malgré l’envie ? Comment justifier auprès d’enseignants parfois assez hermétiques que je n’avais accès à aucun des cours qu’ils donnaient puisque je n’avais pas les contacts nécessaires ?
La frustration, tout le temps
Le temps, c’est bien le problème du salariat étudiant. Et ce qui devrait s’apparenter à des vacances est bien souvent un temps durant lequel l’employeur vous demande « puisque vous êtes disponible » de vous plier en quatre afin de ne pas perdre un emploi qui – vous le savez et il le sait – vous permet de vivre, tout simplement.
Le sentiment le plus compliqué à gérer, lorsque vous tombez dans la spirale du salariat étudiant, est bien la frustration. Frustration car vous savez bien que vous n’êtes au maximum de vos capacités ni dans votre travail ni dans vos études, et encore moins dans votre vie sociale.
Tout est question de choix, me direz vous. C’est vrai. Mais quel choix ? Le choix, je l’ai fait en démissionnant de mon emploi afin de réussir enfin les examens de ma troisième L3. Choix qui m’a conduit à contracter un prêt étudiant sans lequel je n’aurais eu ni le temps ni les moyens d’étudier. Six ans après, je ne regrette pas ce choix malgré le remboursement toujours en cours de ce prêt qui n’aurait jamais dû, dans un monde parfait, apparaître comme la seule option à la réussite de mes études.
Douze emplois en dix ans
Après cinq ans de galère et l’obtention de mon diplôme, après deux ans de vie à l’étranger, j’ai pris la décision de poursuivre ce parcours chaotique en master, toujours salariée. Aujourd’hui, je démissionne à nouveau de ce qui est mon douzième emploi en dix ans, pour les mêmes raisons qui depuis toujours me poussent à m’accrocher à cette vie épuisante, et m’empêchent de profiter de mes études et de ma vie en général : me consacrer à mes études à plein-temps.
J’ai tout de même eu la chance de gravir les échelons dans ma « vie professionnelle » parallèle, ce qui me permet aujourd’hui de pouvoir travailler sur des projets moins prenants. Mais si je parle de vie professionnelle parallèle, c’est aussi parce que la restauration n’est pas le milieu dans lequel je me voyais faire carrière, ou même travailler.
Le problème du salariat étudiant est qu’il est souvent un choix par défaut, et que les compétences acquises, bien que transversales, ne sont pas celles que quiconque souhaiterait acquérir en s’inscrivant à l’université.
Le sentiment de frustration, je disais… On a toujours le choix, oui. Sauf lorsque les aides financières ne sont pas à la hauteur des dépenses courantes. Sauf lorsque le choix est celui d’un frigo vide ou d’un cinéma. Sauf lorsque la responsabilité qui découle de mener sa vie seule et isolée n’aboutit qu’à une seule conclusion : être étudiant et salarié, ce n’est ni le choix des études, ni celui du travail, c’est le non-choix de la galère et de la précarité.
Marie-Marine, 26 ans, étudiante, Paris
Crédit photo Charlotte Christiaën
Bonjour Mairie-Marine,
Ton article m’a enlevé un peu de ma douleur en ce qu’il a parfaitement exprimé ce que je ressens depuis 2 ans.
Ce sentiment de schizophrénie, bloqué entre deux univers, et de choses inabouties, je le ressens jusqu’à l’os, moi aussi.
Je suis en L3 en Droit, et j’ai mal au coeur quand je vois que mes camarades réussissent et pas moi, parce que moi, contrairement à eux, je n’ai pas le temps de bien réviser.
Ce n’est là qu’un seul exemple de ce que je peux ressentir…
Je tiens à te féliciter pour ton courage et ta persévérance, parce que beaucoup auraient lâché il y a bien longtemps!