Quinze interpellations avant la case prison
C’était à Paris, un soir de la fin du mois de septembre. Un de mes clients m’a contacté pour que je lui ramène du cannabis. Je lui ai donné sa marchandise, comme d’habitude, et je comptais rentrer dans mon quartier. Quand, soudain, deux individus me plaquent au sol et me disent : « Bouge pas, ne te débats pas ! » J’ai toute suite compris de qui il s’agissait. Je me suis dit : « Bon Joe, c’est au moins ta quinzième interpellation, normal vu que tu ne cesses de dealer. De toute façon, tu n’as plus de stupéfiants sur toi, donc c’est probable que tu sortes du commissariat cette nuit ou demain matin. »
Mon client s’était aussi fait interpeller avec la pochette de cannabis que je lui avais vendue. Vu qu’il avait avoué que c’était moi qui lui avait donnée, j’ai été placé en garde à vue pour trafic de stupéfiants. Ce n’était pas ma première fois, je connaissais le délire : pièce sombre, isolée, sans aération avec des draps et couvertures sales.
De la garde à vue au tribunal
Le lendemain, l’officier de police judiciaire (chargé d’auditionner les victimes ou les auteurs d’un délit sur les faits) est venu me chercher pour m’interroger dans son bureau, volet fermé. J’ai passé mon audition dans le noir, une première pour moi. Il n’y avait qu’une petite lampe car, dans tout le bâtiment du commissariat, les lumières ne marchaient pas.
En retournant dans ma cellule, je pensais avoir une réponse rapide. En six heures maximum. Comme d’habitude. Je connaissais les procédures, après avoir été en garde à vue à maintes reprises. Mais le temps passait et je devenais de moins en moins optimiste. Encore une nuit passée dans l’obscurité, sans lumière artificielle ou naturelle.
L’officier de police judiciaire est venu me voir dans la cellule et m’a dit : « Le magistrat veut te voir en personne, donc ce soir tu partiras au nouveau tribunal de Paris. » Rien d’alarmant, ce n’était pas la première fois. La nuit est tombée au moment de mon déferrement. Je commençais à avoir de moins en moins de force car, en cinquante heures d’isolement, je m’étais contenté de manger les petits biscuits du matin, à cause de la mauvaise nourriture de la garde à vue.
« Cette nuit, tu iras en détention »
Je suis arrivé au tribunal avec d’autres personnes qui étaient dans les autres cellules. Avec la fatigue, j’ai immédiatement dormi. Les conditions du dépôt étaient meilleures, avec des couvertures et draps propres.
Le lendemain, c’était le jour J. Le jour où j’allais sortir, selon moi. Mais le magistrat avait signé mon incarcération à effet immédiat bien avant que je passe en comparution immédiate. Mot pour mot, il m’a dit : « Cette nuit, tu iras en détention pour effectuer les quinze mois qui sont sur ton dos, pour tous les délits que tu as commis depuis ta majorité. »
Je n’en revenais pas, j’ai eu soudain un mal-être profond. Je me disais qu’une fois de plus, je ne verrai pas la lumière du jour. J’allais encore voir la nuit, c’était interminable.
Au moment de la comparution immédiate, j’ai vu les visages de mes potes, mes frères de cœur, décomposés. Mon avocate leur avait fait part de ma situation. Elle a demandé au juge un report de jugement pour ne pas me mettre trop de pression. Il a été accepté. Ma dernière phrase avant de partir a été : « Bon vas-y les mecs, à la prochaine. Faites attention à vous, prenez soin de ma famille. »
Recommencer à zéro
Quelques heures plus tard, c’était le moment de mon déferrement à la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis. Il faisait nuit et froid, je voulais juste en finir pour pouvoir enfin dormir.
Dans les quartiers Nord de Marseille, Jaguor, Nabil, Bilel et Kacim ont vu dans le deal une manière de gagner de l’argent. Peu importent les conséquences. Ils racontent leur histoire en podcast.
Douze mois plus tard, je suis sorti de détention avec un bracelet électronique. Après mon séjour en prison, j’ai définitivement mis une croix sur mon ancienne vie. Un peu dure la réinsertion, surtout de recommencer à zéro. Je n’avais jamais travaillé, postulé ou même passé un entretien. Après avoir obtenu mon baccalauréat professionnel, je n’avais plus rien fait à part dealer et zoner dans le quartier.
Je me suis inscrit à la mission locale pour qu’ils m’aident à trouver une formation qui me plaira, ce qui serait une grande opportunité pour moi. Et la vie continue…
Joe, 22 ans, en recherche d’emploi, Saint-Ouen
Crédit photo Hans Lucas // © Frédéric Scheiber – Des policiers municipaux effectuant des contrôles pour vérifier les attestations dérogatoires de déplacement procèdent à l’interpellation d’un individu. Le 23 avril 2020, à Toulouse, France.