Cette garde à vue, ce sera la dernière
Les policiers sont descendus de leur voiture en criant : « Descendez du véhicule !! » Ils m’ont attrapé par la veste, tiré du scooter, puis poussé jusqu’au mur pour pouvoir me contrôler. C’était le début de la deuxième garde à vue (GAV) de ma vie.
Un peu plus tôt dans la soirée, on est allés manger au restaurant de mon père avec mon pote Chris. On m’a prêté un scooter. Quand nous avons décidé de rentrer chez nous, les problèmes sont arrivés.
Garde à vue assurée
On est montés sur le scooter vers les Champs-Élysées. On s’est trompés de rue, alors on a roulé sur le trottoir pour reprendre le bon chemin et on s’est arrêtés au feu rouge. C’est là qu’une voiture de police a débarqué et a freiné d’un coup sec devant nous.
Plaqué contre le mur, le policier m’a fouillé, brutalement, en touchant mes parties intimes. Il m’a demandé si j’avais du stupéfiant sur moi. Je leur ai répondu que non. « Si tu en as, dis-le maintenant parce que de toute façon tu vas finir tout nu. » Là, j’ai su direct que c’était une garde à vue assurée.
Malheureusement, ça n’a pas raté. Une heure plus tard, on est arrivés au commissariat du 17e arrondissement. Ils nous ont assis dans une sorte de cellule minuscule et nous ont menottés au banc. Les menottes étaient trop serrées sur nos poignets. Les policiers passaient et se moquaient de nous à chaque aller-retour. Moi et mon pote on se regardait dans les yeux et on rigolait. On ne réalisait pas vraiment ce qu’il nous arrivait.
Une cellule insalubre
Au bout d’une heure environ, l’officier de police judiciaire (OPJ) nous a interrogés. Quand on lui parlait, il se moquait de nous. Il passait devant notre cellule avec une bouteille d’alcool et un gobelet à la main… Il était sûrement un petit peu ivre : il rigolait tout seul, il sifflait et chantait en regardant dans chaque cellule.
Ils nous ont mis en cellule collective pour mineurs. On était trois au début : mon ami avec qui je m’étais fait interpeller, et un garçon de notre âge qui s’était fait attraper pour stupéfiant. Comme ça faisait déjà environ quatre heures qu’on était avec lui, on a pu faire connaissance. C’était insalubre : ça puait la transpiration mélangée avec l’odeur de pipi. Il y avait des mouchoirs découpés en bout par terre.
Mon avocat est venu me chercher dans la cellule pour parler des faits. C’était un avocat commis d’office. Il m’a bien dit ce qu’il fallait dire et ne pas dire devant l’OPJ. Il m’a prévenu que j’allais normalement sortir au bout de 24 heures et que ça allait être classé sans suite.
Un majeur parmi les mineurs
Quand je suis revenu, le chef de poste a ramené un majeur alcoolisé dans notre « cellule pour mineurs ». J’ai dit au chef de poste que c’était interdit. Il m’a répondu : « Il se prétend mineur, c’est pas mon problème. » Il a refermé la cellule et nous a laissé avec le majeur alcoolisé. Avant qu’il ne reparte, je lui ai demandé de l’eau, mais il a fait semblant de ne pas m’avoir entendu.
Le nouvel entrant criait qu’il avait faim, il insultait tout le monde dans une autre langue, il mettait des coups de tête dans le mur. On était déjà trois dans la cellule donc je n’avais pas peur. On savait que s’il faisait un truc bizarre à l’un d’entre nous, on n’allait pas le laisser faire. Le chef de poste lui avait dit : « Ils sont gentils, mais je pense qu’ils ne vont pas trop apprécier si tu leur casses les couilles. Donc s’ils te cassent la gueule, je ne viendrais pas séparer. »
À l’heure du repas, le policier m’a demandé si je voulais manger. Le riz à la méditerranéenne était horrible et à moitié congelé. Donc je leur ai demandé s’il leur restait des pâtes. C’est le nouveau chef de poste, qui avait remplacé son collègue, qui m’en a gentiment ramené.
Le majeur a voulu me les voler. Je lui ai arraché des mains. Il s’est mis à crier : « Je veux des pâtes, le riz est dégueulasse ! » Il a jeté son riz sur le mur et toute la sauce tomate a éclaboussé. Le chef de poste est entré, l’a attrapé par le col et lui a dit : « Ferme ta gueule et mange avant que ça parte en couilles. »
Perdus dans le temps
Dans les cellules, il n’y a pas d’horloge, alors quand quelqu’un passe devant notre cellule, on lui demande l’heure. Mais certains se foutent de nous. D’autres ne nous répondent pas. On n’avait aucune idée de l’heure qu’il était.
Nous devions sortir vers 22 heures, normalement. Notre OPJ est venu nous chercher pour nous dire qu’il ne savait pas si nous allions sortir maintenant ou si nous allions être prolongés : le magistrat n’avait toujours pas répondu. En fait, il n’avait pas encore ouvert le dossier concernant notre affaire. Alors, nous sommes repartis en cellule et nous avons attendu encore une heure trente, je pense, avant que notre OPJ vienne nous chercher.
Joe a connu des années de deal, d’interpellations et de passages au tribunal. Jusqu’à cette garde à vue décisive, après laquelle il a été condamné à un an de prison.
Il a ramené une feuille. On a pensé direct que c’était pour prolonger notre GAV. Heureusement, c’était la feuille qu’on devait signer pour sortir. C’est là qu’ils nous ont remis dans la mini cellule du début en attendant que nos parents arrivent…
Ma mère ne m’a pas dit un mot jusqu’à ce qu’on arrive chez nous. En arrivant, elle m’a pris mon téléphone, m’a dit d’aller me coucher. Cette deuxième garde à vue, ça m’a calmé directement. Je me suis dit : plus jamais je ne retournerai là-bas.
Sam, 16 ans, collégien, Paris
Crédit photo Hans Lucas // © Eric Beracassat – Cellule de garde à vue du commissariat. Montpellier, France, le 29 novembre 2019.
Des conditions de garde à vue indignes
Insalubrité, promiscuité, manque d’hygiène, odeurs pestilentielles, peu ou pas d’accès aux sanitaires : il y a un an, la Contrôleure générale des lieux de privation de liberté Dominique Simonnot a dénoncé « la totale indignité des conditions d’accueil dans les locaux de garde à vue ».
Ces locaux, ce sont aussi ceux dans lesquels les fonctionnaires de police travaillent.
Le journaliste Valentin Gendrot a infiltré la police pendant deux ans. Dans son livre Flic, il dénonce les bavures passées sous silence, les violences policières courantes et les conditions d’accueil dans certains commissariats. Mais aussi le mal-être des policières et policiers, et la dégradation de leurs conditions de travail.