Les coups de mon père
Trois policiers vêtus d’uniformes verts rentrent dans notre appartement. Ils se dirigent vers ma mère en pleurs sur son lit et tentent de la consoler. Je suis là aussi et je ne comprends pas grand-chose. À l’époque, j’ai 4 ou 5 ans. Nous sommes au Portugal. Je me rappelle dire à ma mère « T’inquiète pas, ça va aller ». Mais ça n’ira pas mieux, car mon père est alcoolique et qu’avec lui, j’ai grandi dans la violence.
Mon père buvait tous les types d’alcool : bière, vin, etc. À chaque fois, il s’en prenait à ma mère, mes frères et ma sœur. Très souvent pour aucune raison. Quand je dis qu’il s’en prenait à eux, je veux dire qu’il les tapait. Tous. Sauf moi. Moi, j’étais spectatrice de tout ça. Je l’ai déjà vu étrangler mon oncle qui habitait chez nous à cette époque, je sais même plus pourquoi.
Je ne sais pas si mes frères et sœurs étaient jaloux du fait que mon père ne soit pas violent avec moi. Quand j’ai compris la situation, ils ne vivaient déjà plus avec nous. J’étais seule avec mes parents. Je n’ai donc jamais profité de ce « privilège ». J’ai toujours compati pour eux. Lorsque mon père les frappait, c’est comme si je recevais aussi les coups.
La dispute de trop
Ma mère travaillait souvent de nuit donc je restais avec mon père. Il m’emmenait dans ses escapades nocturnes. Des bars ou chez des copains à lui. Généralement, il y avait que des hommes bourrés qui puaient l’alcool. Un soir, il m’a emmené avec lui pour mettre un coup de pression à un de ses patrons qui ne voulait pas le payer. Quand t’es petite tu peux avoir peur, mais tu trouves ça cool de sortir avec ton père. Mais quand tu grandis tu te rends compte que c’est pas normal.
Lorsqu’on est arrivé en France, mon père buvait moins et était moins violent. Mais il y avait toujours autant de disputes. Mes parents me demandaient même parfois de régler leurs soucis. Ma mère avait l’habitude de me dire : « Va lui parler. T’es la dernière, il t’écoute toi. » Je devais prendre parti dans ces bagarres alors que moi, je voulais juste être loin de tout ça, être une adolescente comme tous les autres.
Après une énième dispute où mon père a cassé une porte pendant que ma mère jetait des trucs par terre, j’en ai eu marre. J’ai appelé la police parce que je pensais qu’ils se tapaient dessus et j’ai pris mes affaires. Je sais plus ce que j’ai dit en claquant la porte. Peut-être : « Entretuez-vous, je m’en fous. » À chaque fois que j’allais au collège ou que je sortais, j’avais peur de rentrer et de retrouver un des deux morts sur le sol.
Les séquelles de mon trauma
Ça va faire environ deux ans que mes parents sont séparés. Quand ma mère m’a dit qu’on allait partir, je l’ai pas vraiment cru parce qu’elle me l’avait déjà dit une centaine de fois. On a visité l’appartement et ça devenait réel. Puis, elle a signé le bail. Je me suis sentie soulagée. Libre. Je me suis dit qu’enfin, j’allais sortir de cette ambiance malsaine. Qu’enfin, j’allais avoir la conscience tranquille. J’étais pressée de vivre cette nouvelle vie.
Forcément toute cette histoire a un impact sur ma vie d’aujourd’hui, de jeune adulte. J’ai l’impression que j’ai dû me construire toute seule tellement ils étaient occupés à s’embrouiller.
Il y en a qui deviennent violents à leur tour, comme mes frères. Pour ma part c’est tout l’inverse. J’évite absolument les conflits. Je déteste la violence et je me tiens loin des gens violents, ça m’insupporte.
Je recolle petit à petit tous les morceaux cassés de ma vie. J’ai qu’une hâte, c’est d’avoir mon propre chez moi et de m’éloigner de ma famille. En tout cas, pour l’instant. Et de soigner mes blessures, mes cicatrices, mes bleus qui ne sont pas physiques mais psychologiques.
Laylah, 21 ans, étudiante, Créteil