Toulaye S. 10/03/2023

Je dois demander la permission pour tout

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Arrivée du Sénégal pour rejoindre son mari, Toulaye doit vivre chez son oncle, qui l’empêche de sortir. Une constante dans sa vie.

J’ai passé mon enfance à Dakar, dans le quartier de Guédiawaye. J’avais une enfance joyeuse mais ma mère ne voulait pas que je sorte pour aller jouer dehors : d’après elle, une fille doit rester à la maison car si elle sort beaucoup, on lui colle l’étiquette de traînée. En plus, je suis la plus grande de la famille. J’ai quatre sœurs et deux frères dont je suis la responsable.

Malgré tout, je ne l’écoutais pas. Je sortais tout le temps donc, quand je rentrais, elle me frappait. Elle n’était pas méchante, elle voulait juste qu’on ne raconte pas de ragots sur sa fille. C’est pour ça qu’en sixième, j’ai arrêté de sortir, je suis restée tout le temps à mon domicile, sauf pour aller à l’école, et je suis devenue timide, réservée.

En 2017, j’ai arrêté les études après avoir raté deux fois le brevet. Je voulais devenir nounou, ou coiffeuse, mais ma mère ne voulait pas. Il fallait toujours que je reste avec elle. Alors, je n’ai rien fait de mes journées à part apprendre à cuisiner et m’occuper de mes frères, que j’aimais bien. J’étais la plus grande, donc la seule à ne pas avoir le droit de sortir.

En 2020, à 19 ans, je me suis mariée. On a fait les démarches pour que mon mari puisse venir travailler en France et il a obtenu ses papiers. Mais il devait partir seul afin de nous trouver un appartement. Sans succès. Je l’ai rejoint l’année suivante à Marseille et suis partie vivre chez mon oncle, le temps qu’il nous trouve un logement. Lui vivait chez son cousin.

Obligée de me justifier

Mon oncle a 63 ans. Je ne le connaissais pas avant de venir ici. Je savais qu’il était laveur de voiture, et que c’était le grand frère de mon père. J’ai découvert un homme gentil, mais qui parle trop, qui pose trop de questions.

Au début, tout allait bien. Il m’a accueillie dans l’appartement où il vit avec sa femme et ses enfants. Mais très vite, il a voulu tout savoir : ce que je faisais, où j’allais, qui je voyais, pourquoi je n’étais pas à la maison… J’avais des horaires et donc quand j’étais en retard, j’étais stressée, j’avais peur de sa réaction.

Par exemple, un jour, je suis partie en stage. On devait terminer à 17 heures mais à cause d’une réunion et d’un retard de bus, je suis rentrée à 19h20. J’ai dû tout lui expliquer et il ne m’a pas crue. Il m’a dit : « Tu es sous ma responsabilité. À partir de maintenant, tu n’as plus le droit de sortir avec tes amis. Dehors, c’est dangereux. Trainer avec des personnes qu’on ne connaît pas, c’est dangereux. Mais si tu veux, tu peux sortir avec tes cousines. » Elles ont 8 et 12 ans… Sa femme n’a rien dit.

Seule sortie autorisée : l’école

C’est vrai que le quartier où j’habite est dangereux. C’est la cité du Moulin-de-Mai. On entend souvent des coups de feu, des bagarres, des cris, surtout la nuit. Mais depuis cette conversation, je ne peux même pas faire les courses. Je ne peux pas me balader, je ne peux pas aller aux Terrasses du Port – un centre commercial de Marseille, je ne peux pas aller au restaurant avec des amis. Mon oncle veut contrôler ma vie et il y arrive. Comme je suis timide et réservée, je ne dis rien.

Parfois, je regrette d’être venue en France. J’ai 21 ans, mais avant de faire quoi que ce soit, je dois demander la permission. Si c’est non, je ne sors pas. En plus, mon mari ne trouve toujours pas d’appartement et n’a pas eu de réponse pour le renouvellement de sa carte de séjour, rien depuis juillet 2022. Moi, je ne travaille pas. Heureusement, après des mois à être toute seule, j’ai pu rejoindre l’école de la deuxième chance en octobre 2022. Depuis que j’y suis, je me sens mieux : j’ai pu me faire des amis là-bas, et quitter l’appartement de mon oncle, parfois.

Toulaye, 21 ans, en formation, Marseille

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