Yéléna A. 02/06/2023

Mes potes et moi, à la chasse aux pédophiles

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Quand ses amis lui proposent de tendre un piège à un homme repéré sur les réseaux, Yéléna accepte. Mais rien ne va se passer comme prévu.

Dans quelques jours, je serai devant un juge, fixée sur mon sort. Je risque au mieux une amende et une inscription sur mon casier judiciaire jusque-là encore vierge, au pire des travaux d’intérêt général, voire… une peine de prison.

C’était un soir, au mois de mai. Je suis avec une copine, et on reçoit un coup de fil d’un groupe d’amis, parmi lesquels mon ex et deux cousins. Ils ont besoin de nous et nous demandent de les retrouver au plus vite. Dans la bande, on est des 2005, 2006 et 2008. Au total, on est neuf : huit mineurs au moment des faits et un majeur. Lorsqu’on les rejoint, ils nous expliquent qu’ils veulent qu’on passe un appel à un mec, qui serait… un pédophile.

Mes potes s’étaient rendus sur Coco, un site de rencontres et de chat gratuit, ouvert à tous. C’est la première fois que j’entends parler de cette appli. Ils nous montrent la photo du mec en question. On ne comprend pas trop ce qui se passe. Alors, ils nous racontent qu’ils se sont fait passer pour des jeunes filles pour lui tendre un piège. Pour l’attirer jusqu’à nous, ma copine accepte de l’appeler et de lui proposer un rendez-vous.

J’étais l’appât

Le mec mord à l’hameçon. Le rendez-vous est pris au « parking de la baise ». C’est un endroit assez glauque, surnommé ainsi par tout le quartier car des gens s’y retrouvent pour y faire des cochonneries. À ce moment-là, tout le monde est impatient. Moi, j’appréhende : comment va se passer la rencontre ? Est-ce que le mec va nous faire du mal ? Est-ce que ça va mal tourner ?

Nos potes me précisent le rôle que je dois jouer : attendre avec ma copine sur le parking jusqu’à son arrivée, échanger quelques mots pour s’assurer que c’est bien lui, puis partir. Les garçons, eux, restent cachés à quelques mètres de là. L’idée, c’est juste de lui faire peur pour le dissuader de recommencer. À l’époque, aucun de nous ne voyait la gravité de ce qu’on faisait. J’étais même persuadée qu’on agissait pour le bien.

Je vois s’approcher une Twingo grise. À son bord, un homme d’une cinquantaine d’années. Ce dernier descend de la voiture : il est petit, costaud et porte une sorte de béret bizarre qui, quand j’y repense, était drôlement ridicule.

La scène se passe vite : je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit que les garçons sortent de leur cachette en courant. Ils enchaînent d’abord les coups de pied sur la voiture, portières, capot, tout y passe. La vitre arrière ne tient pas le choc, elle finit en mille morceaux. Le gars remonte rapidement dans sa voiture, démarre en trombe, et manque de peu de tomber dans le fossé à quelques mètres de là. Nos potes lui balancent des cailloux jusqu’à ce qu’on ne voit plus sa voiture. On n’entendra plus jamais parler de lui. Peut-être continue-t-il à discuter avec des mineures ? Peut-être a-t-il supprimé son compte ou changé de pseudo ? Je ne le saurai jamais. On finit la soirée sur ce parking. Je ne ressens rien de spécial, je réalise à peine ce qui vient de se passer. Les garçons, eux, ont l’air euphoriques. Ils veulent vite remettre ça.

6 jours d’ITT

Le lendemain, rebelote. Je retrouve ma bande en début d’après-midi. Nouvelle journée, nouveau pédophile présumé à piéger. Je ressens un peu d’appréhension. Les garçons tentent de me rassurer : « T’inquiète pas, il n’aura même pas le temps d’ouvrir la bouche qu’on sera là. » Les garçons ont à nouveau repéré un amateur de jeunes filles sur Coco. Ils nous montrent la photo de profil du type, il s’appelle Joris*. Et cette fois, c’est moi qui l’appelle pour lui donner rendez - vous.

Je poireaute sur le parking avec ma copine lorsqu’il arrive en voiture. Il est mince, cheveux marron, au physique très banal. Il nous lance : « Vous montez dans la voiture les filles ? » Je fais genre de ne pas comprendre. Il sort alors de la voiture. Les garçons débarquent en balle [très vite, immédiatement, ndlr]. L’un d’entre eux a un couteau et balance au mec : « Mets-toi à terre. » Puis il lui demande de se mettre à plat ventre pour qu’il ne puisse pas voir nos visages.

Je filme toute la scène. J’ai un rôle un peu plus actif cette fois-ci. Les garçons, eux, se montrent plus violents : certains donnent des coups de pied non-stop à Joris, tandis que d’autres fouillent sa voiture. Ils cherchent une arme, mais font chou blanc. L’un d’entre eux casse le pare-brise de la voiture et crève un pneu, un autre explose son téléphone portable au sol. Le mec est en sang et toujours menacé au couteau. J’ai peur. Mon ex me répète : « T’inquiète pas, t’inquiète pas. » Je continue donc de filmer.

On s’enfuit en courant. Lors de la fouille de la voiture de Joris, les garçons se sont servis : téléphone, gants, chewing-gums et même les clés de la bagnole. J’ai appris plus tard, lorsque je suis passée une première fois devant le juge, que Joris, qui a porté plainte, avait eu six jours d’ITT (incapacité totale de travail), les côtes cassées et le nez brisé.

Barre de fer et armes à feu

Le lendemain, je reçois un appel de la bande. On prépare une nouvelle journée de chasse. Il est 21h19 lorsque je rejoins les garçons. Je connais les heures et toute la chronologie des faits avec précision car avant chaque chasse, je prenais un Snap. Du coup, je me souviens de tout. J’ai tout l’historique en photos et en vidéos.

L’équipe est la même, la stratégie aussi. Cette fois, j’ai une barre de fer avec moi. Au cas où ça dégénère. Je l’utiliserai uniquement en situation de légitime défense. Mes potes sont eux aussi armés, mais de flingues : deux armes de poing et un fusil de chasse. Contrairement aux autres fois, je suis prise de fortes hésitations. Je ne veux pas participer. Je veux partir… mais il est déjà trop tard. Le pédophile présumé est en chemin, il s’appelle Melvin*. Je le sais car lui aussi a porté plainte contre nous pour violences en bande organisée. L’automobiliste arrive. La conversation n’a pas le temps de s’installer que le mec est tabassé. Un coup de feu est tiré en l’air. Tout se passe très vite. C’est allé loin cette fois, trop loin.

Évidemment, dans ma famille, personne n’était au courant. Le jour où la police débarque à la maison en défonçant la porte d’entrée pour me trouver, ma mère (enceinte à cette époque) et mon beau-père sont sous le choc. C’est un traumatisme pour eux, encore aujourd’hui.

Sur internet, les apparences peuvent être trompeuses : Elisa pensait avoir trouvé l’amour sur Insta. Mais elle s’est vite rendu compte que ce Dylan n’était pas aussi fiable qu’il en avait l’air.

Capture d'écran de l'article "Catfishée sur Insta" illustré par une photo où on voit quelqu'un dans la pénombre face à un ordinateur, cagoule sur la tête, éclairé par la lumière de son écran.

Je suis mise en garde à vue puis je passe devant le juge, qui décide de me mettre sous contrôle judiciaire. Je ne peux pas être en contact avec les autres membres de la bande. Quand j’échange avec mon avocate, elle m’explique que j’étais sous emprise du groupe. Seule, je n’aurais rien fait de tout ça. Sous l’effet de la bande, je n’ai pas pris conscience de la gravité de mes actes.

Pour autant, même si ça peut paraître bizarre, je ne regrette pas ce qui s’est passé. J’aurais juste dû faire les choses autrement, par exemple avertir la police, plutôt que d’agir avec mes potes. L’un d’entre eux est actuellement en prison, il a pris 18 mois. De mon côté, je suis encore en attente de mon audience.

Yéléna, 17 ans, volontaire en service civique, Lesquin

 *Les prénoms ont été modifiés. 

Ndlr : l’audience de Yéléna a eu lieu, elle a reçu un avertissement judiciaire. Il s’agit d’une mesure éducative à l’égard des mineurs.

Crédit photo Pexels // CC Ivan Samkov

 

 

Soigner la pédophilie, éviter la pédocriminalité

 

En France, le terme « pédophilie » fait débat : le sufixe « -philie » (« ami » ou « qui aime » en grec), laisse penser que la pédophilie a un rapport avec l’amour, ce qui n’est évidemment pas le cas. En revanche, certain·es adultes sont attiré·es par des enfants, et il est nécessaire qu’elles et ils soient soigné·es pour éviter un passage à l’acte.

 

Depuis 2019, les personnes qui se sentent concernées peuvent appeler gratuitement et anonymement le 0 806 23 10 63 pour bénéficier d’un accompagnement par des professionnel·les de santé. En Allemagne, le dispositif existe depuis quinze ans et présente de bons résultats.

 

La pédocriminalité, c’est le passage à l’acte : lorsqu’un·e majeur·e impose une relation sexuelle à un·e mineur·e. En France, on considère qu’un·e enfant de moins de 15 ans (ou de moins de 18 ans en cas d’inceste) ne peut pas être consentant·e à un rapport sexuel avec un·e majeure. À partir de 15 ans, la loi dit qu’un·e mineur·e peut être consentant·e à un rapport sexuel avec un·e adulte qui n’a pas de statut d’autorité (parents, profs, médecins, etc.).

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