Bisexuelle, de Mayotte à Marseille
Je viens d’une petite île qui s’appelle Mayotte, là où il y a le plus beau lagon et les plus belles plages du monde. Une île paradisiaque, mais aussi une île où il est dur d’être qui je suis : bisexuelle.
Au début, je ne savais pas qu’un côté de moi était attiré par les filles. J’avais peur des garçons, je ne pouvais pas vivre avec eux. Quand un garçon me parlait, je partais en courant, j’avais trop peur. J’étais tout le temps avec des filles, et même trop proche : je leur faisais des bisous sur la joue, sur la bouche, sans même savoir pourquoi. Elles étaient trop heureuses et moi j’étais contente.
Un jour comme un autre, ma grand-mère m’a posé cette question chelou : « Ma fille, j’espère que tu n’aimes pas les filles ? » Je devais avoir 8 ans. Je savais déjà ce que c’était de ressentir de l’affection pour les autres. J’étais déjà très sensible, je m’attachais très vite. Depuis, j’ai vécu dans la peur. Peur que les gens le découvrent et qu’on m’insulte, qu’on maltraite mes parents sur la route et que mes parents m’envoient en France ou à La Réunion.
Strictement interdit
À l’âge de 12 ans, j’ai commencé à ressentir des sentiments pour une fille qui était dans la même école que moi. On était vraiment proches, on a commencé à sortir ensemble. À chaque fois que je la voyais, j’avais des papillons dans le ventre, je voulais juste être à ses côtés car je l’aimais vraiment. J’avoue, c’était bizarre, mais je ne pouvais rien changer. C’était mon destin. J’ai mis du temps à l’accepter mais c’était comme ça. J’avais aussi mal au cœur de ne pas pouvoir afficher ma copine sur les réseaux.
À 16 ans, j’ai annoncé à ma mère que j’étais bisexuelle. Au début, elle était vraiment, mais vraiment choquée : la bisexualité dans mon pays et dans ma religion, c’est gravement et strictement interdit. On va t’insulter, te critiquer, tes parents auront honte de toi car les gens vont mal parler de toute ta famille. Tu seras vue comme une prostituée, les gens essaieront de te chasser de ton village. C’est presque aussi grave que si tu es gay, où l’on va te traiter de « pédé » et te tabasser à mort.
Ma mère ne voulait donc pas me croire. Elle pensait que je blaguais, comme toujours. Puis, elle a passé deux semaines sans me parler. Tous les jours, je la suppliais de me parler car, pour nous, c’était un péché de mettre en colère sa maman. Après deux semaines, elle m’a pardonné et m’a dit : « Ma fille, je te comprends. Tu n’es pas la première ni la dernière à être bisexuelle. »
Ce qui m’a le plus marquée est qu’elle m’a dit que c’était héréditaire, en me donnant l’exemple de sa cousine et de sa petite sœur. J’étais soulagée car ma mère a toujours été ma meilleure amie et ma confidente.
Quitter Mayotte pour être plus libre
Aujourd’hui, je dirais que vivre sa bisexualité ne provoque pas de honte sur soi. Au début tu as peur, mais petit à petit, tu prends confiance en toi. Tu te laisses emporter par le goût de la vie.
J’ai aussi essayé de me détacher de mon île pour respirer, prendre soin de moi. Donc je suis venu en France il y a sept mois, à Marseille, avec l’objectif de m’engager dans l’armée de terre. Ici en France, je suis libre d’être qui je veux, quand je veux. Je ne vis plus dans la honte ou dans la peur.
Et pour moi, Marseille, c’est la ville de mes rêves. J’ai tellement rêvé d’y être. Lorsque je me balade dans certains quartiers, je me rends compte que les bisexuelles sont partout ! À chaque fois que je m’en rends compte, je me sens bien, j’ai le sourire, car je me dis que je ne suis pas toute seule. Alors parfois, je reste trop souvent sur les réseaux pour rencontrer des gens, et surtout plus de filles, mais au moins je peux fréquenter qui je veux. Je ne suis pas jugée. Je suis libre. Vraiment, cette ville m’a changée.
Naïla, 19 ans, en formation, Marseille