Peur des regards sur mon voile
On voit tous les jours des débats sur les plateaux de BFMTV sur le port du voile. Ils ne peuvent pas passer un jour sans parler de la place du voile en France. Quand j’entends des politiciens comme Marine Le Pen ou Zemmour dire qu’il faudrait interdire le port du voile en France parce que cela nuit à la liberté des femmes, je trouve ça ridicule. Justement, en l’interdisant, ils retireraient la liberté de le porter. Sur les réseaux sociaux c’est pareil. Genre sur Twitter, je vois des comptes comme celui de Damien Rieu, qui passe son temps à prendre en photo des femmes voilées, comme si c’était des objets, à chaque fois qu’il va dans un lieu public du style université, tribunal ou école primaire.
Moi, je porte le voile depuis la fin du collège, c’est mon choix. Je n’ai pas à me justifier. Je n’ai pas été forcée ou quoi que ce soit, comme le disent certains médias. Je ne me sens pas moins libre quand je le porte. Le voile devient une obsession pour les médias alors qu’il n’y pas de quoi.
C’est ridicule. Moi, je me sens libre de le porter et je ne vois pas en quoi je dérange les gens quand je le fais. Pourtant, plus le temps passe, plus je fais attention à ce que les gens peuvent penser quand ils me voient. Actuellement je suis en classe de terminale, dans un lycée public. Je suis donc obligée de retirer mon voile avant d’entrer dans l’établissement. Je le fais depuis trois ans déjà. Ça me pose problème mais je le fais, je n’ai pas le choix.
Changer d’opinion quand ils voient mon voile ?
Chaque année j’ai affaire à des professeurs, des classes et des fréquentations différentes. Puisque ces personnes ne me connaissent pas hors cadre scolaire, j’appréhende à chaque fois le moment où je vais les croiser en dehors du lycée. Je me demande si les gens avec qui je traine vont changer d’opinion sur moi parce qu’ils m’ont vu avec le voile. Pareil pour les profs, ce sont eux que je crains le plus.
Mes amies, elles ont appris que je portais le voile quand on est sorties manger ensemble un midi pour la première fois et elles n’ont rien dit, normal quoi ! J’aime bien, ça me montre que ce n’est qu’un détail pour elles et que je me pose des questions pour rien. Du coup, au fur et à mesure, je m’en foutais un peu de ce qu’allaient penser les élèves.
Par contre, les profs ce n’est pas la même chose. On ne se parle pas en dehors du lycée, la seule image qu’ils ont de moi c’est quand je suis en classe. C’est la raison pour laquelle j’appréhende quand je les vois en dehors du lycée. Cette année encore, alors que je devrais être habituée maintenant, quand j’ai croisé mon professeur de philo devant la boulangerie, je me suis tout de suite demandé s’il m’avait reconnue. Est-ce qu’il allait changer d’avis sur moi ? Pourtant je ne faisais rien de mal. Je vis juste comme j’ai envie et je me retrouve à me poser des questions qui n’ont concrètement pas lieu d’être. D’ailleurs, je pense qu’il m’a reconnue ce jour-là, il ne m’a juste pas calculée. Le mec est simplement allé acheter son sandwich tranquille.
J’ai paniqué toute seule pour rien, le prof ne m’a jamais rien dit. En cours le lendemain, son comportement était exactement le même. Je me mets dans des états de panique à chaque fois. Même histoire quand il s’agit des sorties scolaires. Mes camarades se demandent ce qu’ils vont apporter pour le goûter, l’heure à laquelle ils vont se rejoindre… Moi, je me demande si je vais mettre un sweat à capuche, un col roulé, un bonnet ou encore si j’aurais au moins le droit de garder mon bandeau.
La honte de ma vie
Un jour de sortie scolaire, j’ai vécu une scène assez gênante devant tous mes camarades de classe. La prof est venue me voir pour me demander si je portais le voile. Elle m’a fait le discours du cadre scolaire à respecter et m’a demandé de retirer ce que je portais, #LaHonteDeMaVie. J’ai juste accepté d’enlever mon bandeau et j’ai gardé ma capuche. Bien évidemment, je n’ai pas voulu faire de scène, il y avait déjà toute la classe qui me regardait. J’avais l’impression de perdre mon identité en même temps que ma dignité.
J’en ai bien sûr parlé avec mes amies. Elles trouvaient que la situation n’avait pas lieu d’être : on était en dehors du lycée, c’était juste ridicule qu’on me demande de retirer ce que je portais. Je me suis juste sentie impuissante à ce moment-là. Je n’ai rien pu faire si ce n’est qu’accepter. Après, j’étais quand même soulagée que le lendemain de la sortie, la prof ne soit pas venue me voir pour en parler, faire des remarques ou quoi que ce soit. Son comportement non plus n’a pas changé, mais sur le moment ça m’a blessée quand même ! Quelle humiliation…
En fait, je me sens libre mais je vais toujours prendre en compte les regards extérieurs sur moi. Je vais toujours me poser des questions et me demander comment les autres me voient, même si je ne devrais pas. Finir le lycée ça va être une étape importante pour moi, je n’aurais plus cette double vie. À la fac, j’aurais le droit de garder mon voile et de m’habiller comme je veux. Bon avant, il faut que je décroche mon bac et que je ne redouble pas, ce serait un cauchemar !
Fatou, 17 ans, lycéenne, Île-de-France
