Le cancer a métamorphosé « mamie Perfection »
Jacquotte ce n’est ni mamie gâteaux ni mamie poule, mais c’est une mamie qui aime fort sa famille. Bien qu’elle nous oblige à faire des devoirs pendant les vacances et qu’elle nous fasse manger ces trucs longs et verts qu’elle appelle « haricots », c’est toujours avec le sourire ! C’est une mamie qui veut nous éduquer à la perfection. « Perfection », je crois même que c’est son deuxième prénom ! C’est comme ça qu’elle a construit une famille soudée et fait de chacun d’entre nous un être fort. Ma grand-mère, c’est un exemple pour moi.
Mais attention, interdit de l’appeler mamie. Elle, c’est Jacquotte, et mon grand-père, Gégé. Ils habitent dans une grande maison, en campagne, à Thorigné-Fouillard, à une dizaine de kilomètres de Rennes. Nous allons les voir très souvent. Et chaque mois, ils organisent un repas avec mes cousins. Pour moi, depuis toujours, Jacquotte, c’est la femme forte, la plus forte que je connaisse. Pourtant, un jour, elle rencontre un adversaire de taille trop grand pour elle… le cancer.
Affaiblie mais toujours aussi forte
J’ai 11 ans quand j’apprends qu’elle est malade. Je sais ce qu’est le cancer mais je suis partagée entre l’espoir et le déni. Je me dis que ça va passer, que Jacquotte va guérir, qu’il va s’en aller aussi vite qu’il est apparu ce cancer, n’est-ce pas ? Les années passent et il grandit à une vitesse folle. Il grandit trop vite. Il se déplace. Il se multiplie. Ce n’était pas ça le plan. Il devait partir, non ?
Jacquotte a bien changé. Elle maigrit. Ses cheveux tombent. Son ventre gonfle. Ses joues se creusent. Ensemble, on apprend plein de nouveaux mots : chimio, chambre implantable, morphine, sonde, hospitalisation à domicile, PET-scan… Je découvre des métiers aussi : anesthésiste, cancérologue, oncologue, gastroentérologue, radiologue. Tous les rendez-vous médicaux prennent la place de nos repas partagés.
Les habitudes familiales changent et les siennes aussi : pas de dîner le soir pour Jacquotte, pas d’alcool, beaucoup de restrictions alimentaires. Tout ça pour gagner quelques instants de vie… Je vois ma grand-mère passer par plusieurs états, mais malgré tout, plus elle s’affaiblit, plus elle se montre forte. C’est une combattante. Elle est en guerre contre la maladie et elle se défend.
Mais ses enfants s’inquiètent. Je le vois. Des questions me traversent : comment ne pas s’inquiéter quand on voit nos aînés avoir peur ? Comment ne pas douter quand ils sont traversés par ce sentiment ? Comment ne pas pleurer quand tes proches pleurent devant toi pour la première fois ?
Le soir-là, nous sommes tous là
14 août 2021, 21h10, le cœur de Jacquotte s’est arrêté. Il a gagné, le cancer. Il l’a tuée après l’avoir fait souffrir longtemps, après nous avoir fait pleurer beaucoup. Ce soir-là, je suis là. Nous sommes tous là. Chez elle. Autour d’elle et de mon grand-père. Lui qui vient de voir la femme de sa vie partir. Elle a le teint jaunâtre, son souffle est coupé, ses mains dorées. Elle est belle.
Un·e Français·e sur deux a un·e proche atteint·e d’Alzheimer. Manon a souffert de ne pas avoir pu soutenir sa grand-mère au moment de son placement.
À présent, il faut appeler les médecins, les infirmiers. Prévenir le reste de la famille. On prend un temps aussi pour arrêter le temps, souffler, réfléchir. Plus de douleurs pour elle, plus d’allers-retours chez les infirmiers, les médecins et l’hôpital. C’est fini. Ma grand-mère est partie, et comme elle a toujours su nous rassembler, nous sommes presque tous là ce soir-là, réunis autour d’un repas. Tristes, effondrés, mais soulagés qu’elle ne souffre plus. Quelques années plus tard, je sais qu’elle a laissé en chacun de nous un petit bout d’elle, de son courage et de sa force. Ces bouts d’elle qui font qu’on n’oublie pas ceux qui sont partis.
Gwendoline, 18 ans, lycéenne, Bruz
Crédit photo Pexels // CC Marcus Aurelius