Une fibromyalgie pour mes 20 ans
Quand ton corps se rebelle contre toi à 20 ans, c’est compliqué. À l’arrivée de ma fibromyalgie, j’ai eu l’impression qu’une bombe venait d’exploser en moi. C’était invisible et j’étais jeune alors les gens ne comprenaient pas. Pourtant, je souffrais à l’intérieur de moi à chaque pas. Le plus dur, c’étaient les douleurs que je subissais H24. Je n’avais pas une minute de tranquillité. Au moindre effort, comme marcher dix minutes ou faire le ménage, je me sentais comme une vieille chaussette. Aux yeux de mon corps, j’abusais et il me le faisait payer. Une seule tâche en une journée me tuait de douleur. Je passais le plus clair de mon temps allongée dans mon lit ou mon fauteuil à souffrir. Vivre était devenu un enfer.
En plus, pour ne rien arranger, j’étais quelqu’un de très speed et très débordé. Il n’y avait pas un seul week-end où je ne faisais rien : cinéma, musée, randonnée, shopping, parc d’attractions, sortie entre amies, rencontre avec de nouvelles personnes, etc. Sauf que mon corps me mettait des STOP violents !
Écouter les signaux d’alerte était très difficile. Pendant la première année de ma maladie, j’avais un pass annuel pour Disneyland Paris. Il m’est arrivé plusieurs fois d’y passer de longues journées et d’y dépasser mes limites. Au bout d’une heure ou deux de marche, je sentais des pics de douleur très intenses, comme des coups de couteau. J’avais aussi des vertiges et une fatigue intense. Ce n’était en fait que les prémices. Je passais ensuite entre un et trois jours allongée. Une fois, j’ai essayé de les ignorer et de continuer à marcher. J’ai failli ne pas réussir à sortir d’une attraction à cause de la douleur.
Chercher un terrain d’entente
Mon handicap, c’est un peu comme un colocataire non désirable et envahissant. Pour une bonne entente entre nous, je m’adapte à lui. Au fil du temps, j’apprends à l’accepter, à l’écouter, à tendre l’oreille pour le comprendre, déceler ses limites.
Déjà, après un an et demi de recherche, j’ai trouvé le bon rhumatologue. Il m’a donné un traitement qui me soulage. Je supporte mieux mes douleurs, elles sont moins fortes et je passe moins de temps allongée. Depuis, j’ai arrêté d’être dans le déni. Je revois mon mode de vie. Au début, c’était très compliqué car quand on est jeune, on veut profiter de la vie. J’ai commencé à faire des sorties plus courtes, ou longues mais avec plusieurs pauses, à annuler carrément si je me sens mal, à faire les tâches ménagères doucement ou à m’asseoir pour le repassage.
Quand j’ai acheté ma canne pliable, elle est restée un mois dans mon sac ! Je n’osais pas l’utiliser, j’appréhendais le regard des autres. Je sais qu’une part de moi a toujours du mal avec l’utilisation d’aide pour la marche. La canne et le fauteuil sont là pour me faciliter la vie, réduire mes douleurs pour pouvoir profiter au maximum. Sauf que moi, je ne les utilise que quand j’ai atteint ma limite. Le jour où je l’ai sortie de mon sac, j’avais tellement mal qu’une de mes jambes boitait alors que j’avais encore du chemin pour rentrer. D’un côté, j’ai senti un soulagement car se déplacer était plus facile. D’un autre côté, j’ai ressenti un poids au cœur, comme si des chaînes l’entouraient et se resserraient à chaque fois que je croisais quelqu’un.
Je ressens dans les regards des jugements réprobateurs. Je me souviens d’un homme qui avait froncé les sourcils et d’une dame qui m’avait regardée de bas en haut. Avoir un handicap invisible signifie pourtant qu’on représente 80 % des personnes handicapées. Mais quand on va à la caisse dans les magasins et qu’on prend la file pour personnes handicapées sans fauteuil ou canne, les regards sont durs. On ressent que les gens croient qu’on triche pour passer devant eux. Du coup, je ne me sens pas légitime en tant que personne handicapée aux yeux de la société. J’ai l’impression qu’il existe un moule mais qu’il m’est impossible de rentrer dedans.
Une vie normale
En parler à coeur ouvert aux autres m’a beaucoup aidée à faire le deuil de mon « ancien corps ». J’en ai parlé en premier à mes sœurs et mes amies, qui sont très à l’écoute. Je me suis mise à faire des blagues et ça m’a permis de voir autrement mon handicap. Depuis, quand je vais dans des parcs d’attractions, ma petite sœur me pousse à prendre un fauteuil roulant. Elle ne veut pas que je finisse K.O. Elle me sort : « Prend ton fauteuil roulant et j’te pousse ! » J’utilise aussi ma canne si le parc n’est pas trop grand.
J’ai aussi échangé avec des personnes en situation de handicap et ça m’a aidée à changer mon regard. Je n’ai plus le même regard que la société. J’ai compris que, jusqu’à 20 ans, j’avais vécu une vie normale à mes yeux mais surtout aux yeux de la société. Qui qu’on soit, il n’y a pas de « vie anormale ». Tout le monde à une vie normale, adaptée à nous-même. Chaque personne est unique et merveilleuse.
Dans quelques années, j’espère être une femme sûre d’elle, qui ne réfléchit pas au regard des autres et à leurs pensées. Une femme qui saura que son handicap n’est pas que un colocataire envahissant. Cette femme, si elle a besoin d’une canne ou d’un fauteuil, elle l’utilisera, point. Elle pensera à son bien-être avant tout. Et elle sera fière du chemin parcouru.
Jennifer, 25 ans, stagiaire, Évry-Courcouronnes