Marcus J. 25/01/2024

Ma nuit d’émeute pour Nahel

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Du 27 juin au 5 juillet 2023, la France a connu des émeutes suite à la mort de Nahel, causées par le tir d’un policier. Ces violences urbaines touchent autant les banlieues que les centres des villes moyennes et déstabilisent le pays. Marcus, 14 ans, a d’abord suivi ce mouvement de loin avant, finalement, de rejoindre la rue.

Des bruits d’alarme et de sirène toute la nuit. Tout a commencé le 27 juin, après la mort de Nahel, à Nanterre. Comme lui, je vis en banlieue parisienne. Dans ma ville, dès le premier soir, des jeunes sont sortis et ont commencé à tout casser, tout envahir, tout brûler, tout détériorer. Avec mes copains, on suivait ça de loin, sur les réseaux sociaux. Je n’avais pas l’autorisation de sortir et je n’en n’avais pas trop envie.

À Villiers-le-Bel, beaucoup d’habitants sont encore marqués par des émeutes qui ont eu lieu en 2005. Je n’étais même pas né mais je sais que ça avait créé un sacré bazar. Ça revient souvent dans les conversations car tout le monde a peur que ça s’enflamme à nouveau.

Moi, je ne veux pas trop être mêlé aux policiers. Mais à force de voir des images sur les réseaux sociaux, et en parlant avec mes copains, on s’est dit que le jeune qui est mort, Nahel, ça aurait pu être l’un de nous. On s’est dit que ce n’était pas normal, et qu’on voulait le venger. On s’est mis en tête que la police devait payer pour ce crime, qui pour moi est volontaire. Après deux nuits à regarder ça depuis ma chambre, je décide de rejoindre le mouvement, le 29 juin, avec mes potes.

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Il est 22 heures passées, je sors rejoindre mes amis dans le parking en face de chez moi. Personne dans ma famille ne doit le savoir. Même pas mon grand frère, sinon je suis mort.

Quand j’arrive, il y a déjà beaucoup, beaucoup de jeunes. Tous habillés en noir, tous cagoulés, et presque que des garçons. Les filles sont absentes. Moi aussi j’ai la tenue du casseur. L’ambiance est déjà particulière, très tendue. Ça fait deux nuits que la cité connaît des émeutes, avec des poubelles, des voitures brûlées, et des vitrines cassées. On a du mal à reconnaître les quartiers.

Face au parking, il y a deux routes, une à gauche, une à droite. Celle de gauche est bloquée avec une voiture qui brûle. Il y a une mauvaise odeur et une épaisse fumée. Alors, le groupe part à droite et envahit la route. Sur le moment, tout va trop vite. Je ne calcule même plus mes potes. Je suis le mouvement. Notre objectif est de faire venir la police. Il y a des gars qui font les émeutes depuis plusieurs soirs, et qui jouent un peu aux chefs. Ils mènent notre groupe.

L’adrénaline et la panique

Mais la police n’est jamais venue, alors, toujours en groupe, on décide d’aller vers le rond-point où on sait qu’elle viendra. Et là, banco ! Les voitures de police commencent à arriver au rond-point, il y en a au moins quatre.

D’un seul coup, tout s’accélère, tous les gars se mettent à crier des trucs aux policiers. À ce moment-là, je ne sais plus trop quoi faire. Je vois des gens sauter sur la voiture. Ça ressemble vraiment aux films policiers qui se passent dans les quartiers. Un policier sort de la voiture et balance un gaz puissant qui pique très fort les yeux. Ça nous énerve encore plus et ça monte d’un cran niveau violence.

La police se fait attaquer, on est bien plus nombreux qu’eux, on se sent forts mais je stresse, sans le dire aux autres. Mon copain me dit que c’est le moment de lancer des trucs. Dans mon corps, tout se mélange, je suis stressé et en même temps très en colère. Je ne maîtrise plus rien.

En 2019 à Villiers-le-Bel, Ibrahima Bah est mort dans un accident impliquant la police. Depuis, le quartier réclame la vérité.

Capture d'écran de l'article "Mort d'Ibrahima Bah : le quartier n'oublie pas", illustré par une photo où l'on voit un homme assez âgé, chaudement vêtu. Sa capuche et sa veste cache une partie de son visage. Il manifeste sous la pluie, poing levé en l'air. De l'autre main, il tient une pancarte : "RIP Ibrahima Bah, Justice pour Ibo". En arrière-plan, on distingue d'autres manifestants.

C’est à ce moment-là qu’on part, encore en groupe, en courant et en criant, dans un magasin qui a été cassé. Encore une fois, dans la nuit, je suis le mouvement. C’est très excitant. On prend tous des trucs à manger. J’ai pris des chocolats pour mon petit frère et moi, et de la javel et d’autres choses qui peuvent être efficaces pour le ménage de ma mère. Je le sais, les caméras sont cassées, donc je ne risque rien en réalité.

Je ne sais plus vraiment à quelle heure je suis rentré chez moi, au milieu de la nuit, sans faire de bruit, épuisé, en sueur. Je pense que personne ne m’a entendu. En tout cas, personne ne m’en a parlé. Le lendemain, je me suis levé normalement, et le soir, j’ai hésité. Y retourner ? J’avoue, ça m’a tenté mais je sentais que j’aurais pu me faire arrêter alors je n’y suis pas allé. J’avais trop peur que mes parents le découvrent.

Marcus, 14 ans, collégien, Villiers-le-Bel

Crédit photo Hans Lucas // © Claire Série Durant les deux nuits qui ont suivi le décès de Nahel, de nombreuses scènes de révolte et de violence ont éclaté partout en France.

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