Oum Yaser G. 16/08/2024

Jamais tranquille

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Oum Yaser l'a très vite constaté : pratiquer un sport en France quand on est une femme voilée est un parcours du combattant.

En arrivant en France, j’ai voulu m’inscrire à la salle. Dès que j’annonçais que je portais le voile, le ton de la personne au téléphone changeait. À chaque fois, j’avais droit aux mêmes prétextes : « Les salles sont mixtes » ; « C’est un peu compliqué » (pour qui ? je ne sais pas…) ; « Votre présence pourrait déranger les autres adhérents. » Alors, j’ai rapidement exclu la salle de ma liste de choix.

J’aurais aussi aimé faire de la natation, mais depuis l’interdiction du burkini, il est impossible pour une femme voilée de nager. Pire encore, on ne peut même pas se contenter de regarder les autres nager et profiter de l’eau, car on n’a pas le droit d’y tremper les pieds. Mes enfants et moi, on ne va jamais à la piscine ou à la plage. Je ne pourrais pas les surveiller de près s’ils nagent, et je ne veux surtout pas qu’ils me voient humiliée en public par les agents de police. Je ne peux pas énumérer le nombre de vidéos que j’ai pu voir, où des femmes voilées sont victimes de violences policières. J’en ai même vu une d’une femme chassée de la terrasse d’un café sur la plage. Quel crime ! Alors pour nager, j’attends l’été : je prends l’avion, direction le Maroc.

« Je pensais avoir trouvé la perle rare »

La seule solution qui me restait : faire du sport en plein air. Au début, ça me semblait faisable, surtout que j’habite à Saint-Germain-en-Laye. Avec le temps, il s’est avéré que ce n’était pas aussi facile que ça. Certes, il n’y a aucune loi interdisant à qui que ce soit de faire de la marche ou de la course dans un lieu public. Mais cette fois-ci, il fallait faire face aux regards des autres.

Au début, je ne leur accordais aucune attention. J’étais émerveillée par la beauté, la propreté et la grandeur du domaine national de la ville. Cet espace exceptionnel m’a même aidée à réconcilier sport et plaisir. Il m’a permis, pour un moment, d’oublier que j’étais « un cas spécial », et surtout « indésirable ».

Me balader dans la forêt m’offrait une explosion de couleurs et d’odeurs. Le sentier sportif, doté de machines de musculation, compensait l’inaccessibilité de la salle de sport. Et la terrasse André Le Nôtre, avec son magnifique panorama sur l’ouest parisien, m’aidait à méditer et à me relaxer. Je pensais avoir trouvé la perle rare.

De la haine et du mépris

Un jour, en marchant tranquillement dans la forêt, j’ai croisé un homme âgé qui promenait son chien. En voyant ce dernier venir vers moi, l’homme a commencé à tirer la laisse et à crier sur l’animal. Au début, j’ai cru qu’il avait peur que je me fasse mordre. Mais non, le monsieur ne voulait pas que je caresse son chien. Son regard était froid et il évitait de me regarder droit dans les yeux.

À partir de ce moment-là, j’ai commencé à faire attention aux regards des autres. J’étais choquée. Ils étaient pleins de haine et de mépris. « Qu’est-ce que vous faites là ? Allez-vous-en ! Ce n’est pas votre place ! Même ici, vous continuez à nous suivre et à nous embêter. » Leurs yeux disaient toutes ces choses, et la façon dont ils m’évitaient lorsque nos chemins se croisaient en disait encore plus. Des gens n’hésitaient même pas à cracher.

J’aurais pu m’arrêter là, et renoncer à courir et à utiliser les machines sur place. J’aurais pu dire que le sport avec le voile en France est à bannir. J’aurais pu dire tout ça, si je n’avais pas rencontré une dame très gentille avec moi sur le sentier sportif. Je garde toujours dans ma tête son portrait et son beau sourire. Elle attendait patiemment que je termine avec une machine et me faisait la conversation en attendant. Elle était très aimable. Je lui ai rapidement cédé ma place tellement j’étais émue. Je suis partie en courant, mais j’écoutais toujours dans ma tête sa voix qui disait : « Bonne journée madame et bon courage. » J’avais tellement envie de quitter les lieux pour pouvoir pleurer que je n’ai pas pu lui répondre.

Les regards de haine étaient tellement récurrents, que la gentillesse de cette dame aux cheveux blancs m’a surpris. C’est paradoxal, mais sa gentillesse m’a fait prendre conscience de la cruauté des autres. Elle m’a aussi donné de l’espoir et du courage. Maintenant, je continue à me balader dans ce domaine magique sans prêter attention à quoi que ce soit, à part à la beauté des lieux.

Oum Yaser, 39 ans, étudiante, Saint-Germain-en-Laye

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