« Je me faisais vomir après chaque repas »
Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été grosse. Les autres enfants ne se sont jamais gênés pour me le faire savoir de la pire des façons. Dès la maternelle, j’ai pu voir à quel point les enfants sont les personnes les plus méchantes qui puissent être.
Il ne se passait pas un jour sans qu’on me balance des « baleine », « grosse vache », et j’en passe. Je me suis toujours demandé pourquoi ils m’infligeaient ça. Au final, je me sentais coupable d’être grosse. Pour moi, c’était de ma faute. Pas celle des autres qui me harcelaient. J’étais différente et je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même.
Une solution « miracle » sur TikTok
Plus les années passaient, plus cette situation empirait. J’étais si fatiguée de tout ça… Je ne sais combien de fois j’ai essayé des régimes. Aucun n’a jamais réussi. Heureusement – ou plutôt malheureusement – j’ai fini par entendre parler d’une façon simple de perdre du poids.
J’étais en cinquième. J’étais jeune et influençable et je voulais à tout prix réussir à perdre ces kilos en trop, quitte à ce que ça dure plus d’un an. Sur les réseaux sociaux, je suivais des mannequins, comme Bella Hadid ou Adriana Lima. J’ai vu passer sur mon fil TikTok une vidéo où on montrait « la solution » : un verre d’eau, du sel et un paquet de chewing-gums. Je n’imaginais pas que suivre cette méthode radicale allait provoquer chez moi des troubles du comportement alimentaire.
J’ai donc essayé ce régime. Je passais mes journées sans rien avaler, à part des chewing-gums et de l’eau. Ça permettait de ne pas ressentir la faim. En tout cas, c’est ce que disaient les filles au corps de rêve sur les réseaux sociaux. Alors, je les ai crues… Mais plus le temps passait, plus je me sentais mal. J’étais très faible, même épuisée. J’avais mauvaise mine.
Enfin mince
Au bout d’un moment, les troubles sont arrivés. Je me faisais vomir après chaque repas, je n’arrivais plus à manger sans me sentir coupable. Je me sentais bien seulement si je jeûnais la journée. Et puis je voyais les kilos diminuer sur la balance, alors comment arrêter ?
Mes parents ont commencé à s’inquiéter, vu que j’étais souvent pâle et aussi de plus en plus renfermée sur moi-même. Mais jamais ils ne m’ont posé de questions. Ils devaient penser que c’était la pression scolaire… Quant à mes frères et ma sœur, on n’a jamais été très proches. À l’époque, je pensais même que mon grand frère avait honte de moi. Souvent, il marchait à distance de moi dans la rue.
Alors à qui me confier ? À des amies ? Je n’en avais pas à l’époque. J’étais « sans amis » parce qu’on me voyait comme « la grosse ». N’étant pas très sociable de nature, ça n’a pas aidé. Peut-être que quelques-uns de mes camarades auraient voulu apprendre à me connaître, mais ils n’osaient pas à cause du regard des autres.
Maintenant, ça fait quelques mois que les choses ont changé. J’ai perdu 27 kilos. Je suis enfin mince. Je devrais me réjouir, mais comment être heureuse après avoir sacrifié ma santé physique et mentale pour le regard des autres ? Impossible ! Tout ce que j’ai fait, c’était en fonction d’eux et pas pour mon bonheur personnel. Je pensais que la seule façon d’être heureuse était de se faire accepter. Mon seul regret est de m’être fait souffrir et de ne pas avoir su dire à cette petite fille pleine de complexe de ne jamais douter d’elle.
Nora, 15 ans, lycéenne, Port-de-Bouc
Crédit photo Pexels // CC Tima Miroshnichenko
Anne Li, pédiatre à la maison des adolescents de Paris :
« Garder des activités plaisirs »En France, près de 600 000 adolescent·es sont touché·es par les troubles du comportement alimentaire. Selon Anne Li, pédiatre à la maison des adolescents de l’hôpital Cochin à Paris, gagner confiance en soi est essentiel pour s’en sortir.
Les réseaux sociaux peuvent-ils aggraver le développement des troubles du comportement alimentaire (TCA) ?
Beaucoup de fausses informations y circulent. C’est le cas pour ce régime « amincissant » [dont parle Nora dans le texte ci-dessus, ndlr]. Bien souvent, ces personnes, qui n’ont aucune expertise nutritionnelle, ne testent même pas les régimes sur elles ! En plus d’être fausses, ces pratiques sont très dangereuses pour la santé.
Quant aux réseaux sociaux, ils ne sont qu’un élément parmi tant d’autres pouvant déclencher des TCA. Beaucoup de facteurs rentrent en compte comme l’activité physique, la génétique, l’environnement familial, les habitudes alimentaires, les troubles psychiatriques, les événements de vie difficiles… Le rôle de la maison des adolescents, notre structure réservée aux ados, est d’accueillir tout jeune en demande d’aide pour lui prodiguer les conseils adaptés.
Quels conseils donneriez-vous à un·e jeune qui souffre de ces troubles ?
Le premier conseil que je donnerais, c’est d’aller voir son médecin ou pédiatre traitant. Au moins une fois par an. C’est quelque chose de simple, mais beaucoup d’adolescents désertent les cabinets des médecins. Votre généraliste pourra vous écouter, vous éclairer, vous prendre en charge, tout en vous redirigeant vers des structures spécialisées en cas de besoin.
Il existe des gestes simples pour prévenir ou combattre les TCA au quotidien. La pratique que je conseillerais à tous est de garder des activités plaisirs dans votre journée. Le moment de l’adolescence est chargé en situations stressantes entre les cours, la connaissance d’un corps qui se transforme… Ces moments de détente et d’épanouissement permettent d’augmenter sa confiance en soi, l’un des remparts contre les TCA. Le plus important est de s’apprécier pour ce que l’on est et de se respecter avant tout !
Qui contacter ?
Que vous souffrez d’un trouble du comportement alimentaire, ou que vous ayez des craintes pour un proche, plusieurs solutions s’offrent à vous.
La ligne téléphonique Anorexie Boulimie Info écoute est à votre disposition au 09 69 325 900. Des psychologues, spécialistes ainsi que des associations sont à votre écoute et pourront répondre à vos questions.
Si un rendez-vous avec un·e médecin généraliste est fortement recommandé avant toutes démarches, vous pouvez retrouver l’ensemble des structures spécialisées dans les TCA sur le site de la Fédération française anorexie boulimie.
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Guérir des TCA par le sport, par Amira, 21 ans. Pour sortir de ses troubles des conduites alimentaires (TCA), elle s’est mise au sport de façon intensive. Au risque d’une autre dépendance.