Trois mois sans mes parents à 8 ans

Quand j’avais 8 ans, j’ai vécu trois mois seule avec mon grand frère en Espagne. Mes parents étaient partis travailler à Chypre, ils sont soudeurs-tuyauteurs. Au début, cela ressemblait à des vacances. Pour éviter que je sois triste, ma mère a eu cette idée de nous installer, mon frère de 19 ans et moi, à Lloret de Mar, une petite ville espagnole sur la Costa Brava, jusqu’à ce qu’ils reviennent. On y était déjà allés en vacances tous ensemble. Les plages sont magnifiques. Mes parents ont donc pensé qu’on y serait bien et ils ont choisi un appartement à louer sur un site internet.

Une semaine après avoir reçu l’offre d’emploi, ils sont partis. Ils allaient gagner 10 000 euros chacun. Je pense que c’est pour ça qu’ils ont pris la décision si vite.

J’étais plutôt contente de passer trois mois « à la plage », mais en même temps malheureuse de ne pas voir mes parents. C’est compliqué pour une petite fille de 8 ans d’être séparée d’eux pendant si longtemps… J’essayais de me réconforter avec des photos de famille qu’on avait emportées. C’étaient mes « souvenirs » d’eux.

Un frère reconverti en prof et parent

Une routine s’est mise en place avec mon frère. Plusieurs fois par semaine, on allait au restaurant puis à la plage. C’était très amusant quand on se baignait, j’adorais ça !

Mes parents lui faisaient des virements pour couvrir nos besoins. Tous les vendredis, on allait faire les courses. On achetait souvent de la charcuterie typique d’Espagne. C’était très bon ! Mon frère cuisinait très bien. J’adorais ses pâtes carbonara (une recette que ma mère lui avait apprise).

Ma mère s’est renseignée pour que je puisse avoir un professeur particulier, mais elle n’en a pas trouvé… Alors elle s’est rabattue sur un logiciel avec le programme scolaire des CE2-CM1. Tous les jours, mon frère me réveillait à 9 heures. Je prenais mon petit-déjeuner, je me douchais et à partir de 9h30 il me faisait l’école à la maison. Les lundis et les jeudis, je faisais des maths et de l’histoire, et les mardis et les vendredis du français.

Tous les soirs ou presque, aux alentours de 20h30, j’attendais avec impatience l’appel visio de mes parents. On se racontait des tas de choses : moi ma journée avec mon frère, et eux leur journée de travail… À chaque fois, avant de raccrocher, on se disait : « Je t’aime. » Ça me rassurait énormément car j’avais peur qu’ils m’oublient.

Une invitée dérangeante

Un soir, mon frère et moi on est allés au restaurant. Nous avons commandé deux Coca. Quand on a payé la note, la serveuse, une jeune et jolie demoiselle, nous a fait cadeau des Coca. Elle était drôlement gentille, j’ignorais pourquoi. Tout au long du service, elle n’avait pas arrêté d’échanger des regards accompagnés de sourires avec mon frère. Je trouvais ça très romantique…

Quelques jours plus tard, à l’appart, mon frère m’a présenté une jeune fille de 19 ans, comme lui, en me disant que c’était sa copine, et j’ai reconnu la gentille serveuse. J’étais contente qu’ils soient ensemble.

Mais la situation s’est vite dégradée. Elle n’arrêtait pas de faire des crises de jalousie à mon frère. « Tu passes trop de temps avec ta sœur » ; « Tu l’aimes plus que moi ou quoi ? » Un jour, mon frère a eu le malheur de dire : « C’est ma sœur, je vous aime toutes les deux d’un amour différent. » Et alors elle s’est mise à l’insulter. Moi je trouvais ça dingue qu’elle soit jalouse de moi, alors que j’étais juste la petite sœur… Un jour, elle lui a posé un ultimatum : « C’est soit moi, soit ta famille ! » Et mon frère l’a choisie.

Mon frère et moi, on avait le projet de demander à nos parents de s’installer tous ensemble à Lloret de Mar, car l’endroit nous plaisait beaucoup. Mais notre projet ne pouvait plus aboutir. Je lui en ai énormément voulu. Son amour pour sa copine l’a influencé dans ses choix : celui de ne pas vouloir vivre avec sa famille en Espagne mais seulement avec elle… et de couper les ponts avec nous pendant deux ans.

Rattraper son retard en classe

Quand nos « vacances » ont touché à leur fin, j’étais très contente de revoir mes parents, mais je redoutais leur arrivée en Espagne. Parce que les relations avec mon frère étaient devenues compliquées… et ça, mes parents l’ignoraient encore.

C’était un vendredi matin. J’étais à l’appart quand j’ai entendu sonner à la porte : c’était eux ! J’ai sauté dans les bras de ma mère et embrassé mon père. Puis j’ai dit à ma mère que mon frère devait avoir une discussion avec eux. Ils se sont enfermés dans le salon avec lui, et m’ont demandé d’aller dans ma chambre. J’ai entendu des cris de disputes… puis ma mère est venue me voir en me disant qu’il était temps pour nous de repartir en France, sans mon frère.

En retournant à l’école « normale » à Istres, j’ai senti le fait de ne pas avoir suivi un vrai programme scolaire avec de vrais professeurs. J’étais en retard par rapport à mes camarades de classe, j’avais beaucoup de mal avec les multiplications et les divisions. Mes parents m’ont payé des cours avec un professeur particulier. Grâce à lui, j’ai rattrapé mon retard en un peu plus d’un mois, et j’ai évité le redoublement.

Deux ans sont passés avant que mon frère ne revienne chez nous en France. Je me souviens avoir été extrêmement triste et m’être sentie très seule pendant ces années.

Jenny, 15 ans, lycéenne, Martigues

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