1/2 Souffrances partagées
Le souvenir est toujours aussi violent dans ma tête. Il est 6 heures du matin, on dort tranquillement à la maison. Tout à coup, un énorme bruit nous réveille : la police vient de casser la porte. Ils sont plusieurs à entrer d’un coup. Ils me braquent, puis nous ordonnent de nous asseoir sur le canapé, mon petit frère, mes sœurs et moi. Ensuite, ils menottent mon grand frère et se mettent à tout saccager dans nos chambres. Ils ouvrent tous les tiroirs, cassent mon lit… Quand ils ont tout retourné, ils repartent en emmenant mon grand frère. Il a été incarcéré trois mois, pour trafic de stupéfiants.
Mon petit frère et moi, on dormait près de la porte d’entrée et on a été vraiment traumatisés par cette perquisition. C’est ce qu’a dit une psychologue que nous avons été obligés à aller voir dans les semaines qui ont suivi. Je n’étais pas très bavarde avec elle, je n’aimais pas trop ça. Et c’était la même chose pour mon petit frère. Mais elle voyait que le moindre bruit nous faisait sursauter, qu’on était devenus très sensibles, qu’on avait du mal à parler…
« Du mal à continuer le combat sans lui »
Quand sa peine s’est terminée et qu’il est revenu à la maison, on était tellement heureux… Mais deux mois plus tard, il est retourné en prison. Cette fois pour six mois, toujours pour trafic de stupéfiants. Je n’acceptais toujours pas le fait de le savoir enfermé, mais je me disais qu’il allait apprendre de ses erreurs et que c’était seulement un mauvais passage. Mais il ne s’est pas arrêté là. Il est retourné en prison à deux reprises.
J’ai vécu beaucoup de parloirs. J’y allais avec ma mère. La prison était assez loin de chez moi, d’abord à Montpellier, ensuite aux Baumettes, à Luynes et à Draguignan. On lui ramenait son sac de linge propre. On ne pouvait pas manger ensemble, parce que c’est interdit à l’intérieur des box de parloir. Alors, on se faisait tous un câlin en se retrouvant. Puis on parlait de tout et de rien, de comment ça se passait à l’intérieur et si ce n’était pas trop difficile. « C’est dur pour tout le monde mais le mental est là », nous disait-il en général.
À cette période-là, je me suis beaucoup renfermée sur moi-même. L’amour qui me lie à mon grand frère est aussi fort que celui que je porte à mon père. Je ne sortais plus, je vivais mal le fait qu’il soit entre quatre murs. J’ai obtenu mon CAP vente, mais ensuite j’ai arrêté l’école. Je n’arrivais plus à me concentrer en cours.
Petit à petit, j’ai perdu confiance en moi. C’est mon frère qui m’avait appris à être forte, qui me disait toujours que la vie était un combat et qu’il fallait avancer même si c’était dur. Mais il n’était plus à mes côtés, et j’avais du mal à continuer le combat sans lui.
Le déclic à la mort de ses amis
C’était difficile aussi pour mon frère, d’autant que, pendant son incarcération, on a dû lui annoncer le décès de ses deux meilleurs amis. Ils ont été assassinés et les raisons sont encore floues. C’est là qu’il a commencé à changer. Il a compris que ça n’arrivait pas qu’aux autres. Il a vu les mamans de ses deux amis souffrir. Je pense que ça a provoqué un déclic. Il a pris la décision de changer de voie pour être en paix. Maintenant, ma mère peut dormir sur ses deux oreilles.
Avec de la patience et de la persévérance, mon grand frère a choisi le droit chemin : il a su trouver sa femme, son travail, il a sa voiture. Il nous rend fiers, enfin. Je lui en veux de nous avoir fait autant souffrir, de nous avoir punis autant que lui a été puni. Mais le principal c’est qu’il a réussi à se remettre sur le bon chemin. Aujourd’hui, c’est une nouvelle vie, comme un nouveau livre qui commence.
Juliana, 20 ans, en formation, Marseille
Crédit photo Pexels // CC ph.galtri
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