Willem F. 23/11/2024

Le seul métis de la famille

tags :

Willem a grandi entre deux cultures. Celle de son père normand et celle de sa mère guadeloupéenne. Deux milieux différents où il n’a pas réussi à trouver sa place.

« Métis, c’est la plus belle couleur du monde. » C’était la phrase préférée de la famille de mon père. Une famille blanche de la Normandie rurale. Longtemps, j’ai cru à ces mots qui faisaient de moi une personne spéciale. Aujourd’hui, j’ai compris qu’ils cachaient un malaise.

En même temps, il faut voir le cadre. Imaginez-vous dans un patelin isolé de moins de 200 âmes du fin fond de l’Orne. Ajoutez à cela une moyenne d’âge proche de la soixantaine, aucun commerce à la ronde et des vaches à ne plus savoir quoi en faire. En gros, c’est Marly-Gomont. C’est dans ce village que j’ai passé la plupart de mes vacances scolaires pour rendre visite à mes grands-parents. Un havre de paix pour moi, l’enfant du 19e arrondissement de Paris. Un choc pour eux.

Porter sa couleur comme un fardeau

Difficile de ne pas susciter des réactions quand tu es le seul métis de ta famille. Longtemps, un oncle de mon père nous disait que les derniers Noirs qu’il avait vus avant nous étaient les Américains lors du Débarquement. Le ton était donné. Mes cousins, eux, enviaient cette « couleur caramel », comme ils aimaient l’appeler. Ils rêvaient d’avoir ce teint hâlé pendant toute l’année, eux qui se badigeonnaient d’autobronzant. Pas sûr qu’ils voulaient subir les réflexions collées à cette peau.

Je me rappelle d’une visite à un cousin éloigné lorsque j’avais 6 ou 7 ans. Nous voyant débarquer avec ma sœur, ce dernier lance à mon père : « Ils sont adoptés tes gosses ? » Ça m’avait fait rire. Mais mon père, lui, n’a pas ri. « Non, leur mère est noire », a-t-il répondu, sèchement.

Très vite, je me suis senti comme un fardeau pour mon père. Lors des cousinades ou des mariages, tous les yeux étaient rivés sur nous. Des regards qui disaient : « Comment peuvent-ils être de la famille, eux ? » Cette famille qui interrogeait mon père, lui qui a brisé une lignée, blanche depuis toujours, en s’unissant avec une femme noire.

Ni d’ici, ni de là-bas

Cette femme, c’est ma mère. Elle est née à 7 000 km du bocage normand, en Guadeloupe. Exit les champs de vaches et la météo pluvieuse. Laissez place aux plages de sable fin et au soleil toute l’année. Là-bas, ma différence semblait s’effacer. Il faut dire que l’île aux Belles Eaux s’y connaît en matière de métissage. Toutes les teintes de peau peuvent être présentes dans une même famille. Alors, aucun problème pour passer inaperçu.

Si j’arrivais bien à me fondre dans le paysage, il y avait tout de même un problème. Impossible pour moi de me sentir en phase avec cette terre et cette famille que j’allais voir tous les trois ans, au rythme des congés bonifiés. Trois ans, c’est long. Assez pour qu’un oncle oublie ton prénom, ton âge ou ton visage. Assez pour créer une distance avec des cousins que je devais réapprendre à connaître.

Là-bas, la barrière n’était plus basée sur mon apparence mais sur le langage. Mes cousins s’amusaient à imiter mon accent parisien, mon argot ou ma façon de rouler les « r ».  Là encore, ça me faisait rire mais le frein principal, c’était le créole. Difficile de se sentir chez soi quand tu ne maîtrises pas la langue parlée par ta famille.

Il m’était impossible de tisser une relation avec mes grands-parents qui avaient répudié le français pour le créole. La plupart du temps, je ne les comprenais pas. Et quand c’était le cas, je ne pouvais pas leur répondre. Forcément, à leur mort, ça m’a laissé des regrets.

Alors, métis, plus belle couleur du monde ? Honnêtement, je n’en sais rien. Ce dont je suis sûr, c’est qu’elle est la couleur de l’instabilité. Celle qui m’a empêché de trouver un port d’attache dans les familles de mes deux parents. Celle qui m’a longtemps laissé dans un flou sur mon identité, sur qui j’étais vraiment ? Le noir ou le blanc ? Je me dis aujourd’hui que ces deux couleurs sont spéciales.

Willem, 23 ans, étudiant, Paris 

Crédit photo Pexels // CC Jon Champaigne

 

À lire aussi…

On me prenait pour un étranger, par Isham, 20 ans. Le jeune homme se sent chez lui aussi bien en Ouganda qu’en France. Pourtant, il est partout considéré comme un étranger à cause de sa couleur de peau métissée.

Partager

Commenter