Rose V. 13/12/2024

4/4 Douze heures de stage pour des mois de violence

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Battue par son petit ami lorsqu’elle était adolescente, Rose a enduré les coups, puis un long processus judiciaire marqué par le mépris des autorités.

J’aurais dû partir oui, j’aurais dû partir bien avant, au premier coup. J’aurais dû partir la première fois que j’ai vu des bleus sur mes bras. Mais je n’arrivais pas à m’identifier aux campagnes de sensibilisation contre les violences conjugales, trop caricaturales. Elles ne me permettaient pas de m’identifier à ces femmes plus âgées que moi et défigurées. C’était ma première relation amoureuse. Même si je sentais qu’il y avait un problème, que ce n’était pas le schéma des autres couples, je me disais que ce n’était pas si grave.

Un jour pourtant, je prends la décision de le quitter après en avoir parlé à des amies et compris l’ampleur de ces violences. Très rapidement, une expérience avec un autre garçon me fait comprendre que ce que j’ai vécu est anormal, grave et condamnable. Je vois une psychologue, puis en parle à mes parents alors que j’étais encore mineure, et je décide de porter plainte.

J’envoie d’abord une lettre au procureur de la République et j’attends six mois avant d’être convoquée au commissariat. Ma plainte est plutôt prise au sérieux. À ma grande surprise, on me promet de le convoquer et même de faire une perquisition à son domicile. Je vais aux urgences médico-judiciaires, où un médecin détermine vingt jours d’ITT (incapacité temporaire de travail), pour moi une preuve de la réalité des violences subies.

« Je comptais mes bleus »

Parfois, je rentrais chez moi et je les comptais, ces bleus. Dix sur les bras en une journée, c’était beaucoup mais je m’efforçais de le pardonner, d’attendre un jour meilleur… J’étais un punching-ball, je subissais son mal-être et il se défoulait sur moi. Je le voyais dans son regard, il voulait me faire du mal, il me le disait même parfois. Il me riait au nez car j’étais « trop fragile » et estimait que ma peau « marque facilement ».

Pendant un an, je n’ai pas de nouvelles du commissariat. J’appelle très régulièrement pour savoir si mon ex a été entendu. À chaque fois, on me dit qu’ils sont débordés, que ce n’est pas une urgence pour eux. La police ose même me dire que si j’ai peur de mon agresseur qui vit dans le même quartier que moi, je n’ai qu’à déménager.

Bien sûr que j’ai peur. Avec lui, tout devenait prétexte à la violence. Dehors, il me poussait violemment contre des murs, des vitrines, des voitures en stationnement. Un jour, c’est avec un skate qu’il m’a violentée. Le coup était si fort que j’ai eu l’impression de recevoir un choc électrique dans la jambe qui m’a paralysée quelques instants. Un autre jour, on se baladait et je me prenais des coups dès qu’on croisait une personne avec les mêmes baskets que moi. 

« Une histoire d’adolescents »

Quelques mois plus tard, alors que je viens de prendre une avocate, le policier me prévient que mon ex est en train d’être auditionné et que je dois être disponible pour une confrontation le lendemain. J’ai à peine le temps de me préparer à cette étape décisive et impressionnante pour une victime.

La confrontation commence. On m’avait prévenue qu’elle pouvait durer entre quinze minutes et une heure trentre. Elle dure trois heures et demie sans aucune pause. Je témoigne de chaque violence, en prenant soin de donner le plus de détails, le jour précis, le vêtement que je portais, le lieu exact, ce qu’on faisait deux minutes avant et deux minutes après. Je raconte tout et reviens sur ces instants que je m’efforçais d’oublier depuis. Chaque coup, chaque étouffement, chaque étranglement. Tandis que mon ex reste vague, assume certains coups, dit ne plus se souvenir des autres et s’emmêle dans ses explications. Il avoue donc certaines choses. Le reste à mi-mots malgré lui.

Le policier reste méprisant envers moi, il ironise parfois. Propose à mon ex de mimer certains coups avoués, demande qui est volontaire dans la salle pour faire la victime, se tourne vers moi et me lance qu’on ne va peut-être pas me le demander à moi.

Il finit par conclure que c’est une histoire d’adolescents, « une mauvaise expérience trop tôt et pour vous deux ». Il me demande si je souhaite qu’il s’excuse, je lui réponds simplement que non, je n’accepterai pas d’excuses de sa part. Je n’ai pas fait tout ce chemin pour recevoir une excuse. Mon ex s’excuse quand même, pour « les violences psychologiques et physiques ». Je ne le regarde même pas. Le policier se tourne vers moi et me dit qu’il serait vraiment nécessaire que je lui pardonne car il ne faut pas que je conserve de haine en moi. Dans ma tête, je veux juste sortir de cette pièce.

Huit mois après. J’apprends avec soulagement que ma plainte n’a pas été classée sans suite, contrairement à ce que le policier m’avait prédit. Il n’y aura pas de jugement, mais une mesure alternative. Il a dû faire un stage de sensibilisation. Un stage de douze heures…

Rose, 21 ans, étudiante, Paris

Illustration © Camila Plate

 

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