20/06/2025

Quitter sa vie, rejoindre son mari

slash

Pays, famille, travail, ami·es. Pakistanaises, Safia et Wajeeha ont tout quitté pour emménager en Île-de-France avec leurs maris. En épousant des hommes appartenant à la diaspora pakistanaise en France, elles sont devenues femmes au foyer dans un pays qui leur était inconnu.

Une nouvelle vie que Wajeeha, 26 ans, apprécie. « Après trois ans, je me sens vraiment chez moi », raconte-t-elle. Celle qui était enseignante à Oman espère pouvoir retrouver un jour un emploi similaire dans son pays d’accueil. Safia, elle, a plus de mal à se projeter. C’est avec nostalgie que la jeune femme de 28 ans repense à son quotidien d’étudiante à Lahore, dans la province du Pendjab : « Au Pakistan, j’ai vécu ma meilleure vie. »

La rédaction

 

« En France, ces femmes mènent des vies plus traditionnelles qu’au Pakistan »

Abida Sharif, sociologue au Pakistan, a consacré sa thèse, soutenue en 2016, aux mariages transnationaux au sein des familles pakistanaises immigrées en France. Elle constate que les femmes pakistanaises qui déménagent aujourd’hui en France pour rejoindre leurs époux laissent, petit à petit, leurs aspirations personnelles de côté au profit de celles de la communauté.   

 

Wajeeha et Safia ont épousé des hommes qui appartiennent à la diaspora pakistanaise en France. Elles ont ensuite quitté le Pakistan pour la France. Est-ce courant comme trajectoire ?

Les histoires de ces deux femmes sont très courantes parce que le mariage transnational est une pratique répandue en France, comme en Allemagne, aux Pays-Bas et au Danemark, des pays qui accueillent la deuxième ou la troisième génération d’immigrés pakistanais. C’est le moyen de faire venir ses proches et de ramener les valeurs culturelles de son pays de naissance dans son pays d’accueil.

Les mariages transnationaux sont souvent organisés à l’intérieur de la famille ou dans le premier cercle. Lorsque les Pakistanais vivant en France reviennent au pays pour les vacances, ils regardent ce que font les enfants. Entre parents, tu discutes du futur mariage, de manière informelle. Ensuite, tu investis dans ta potentielle belle-fille. En bref, les visites régulières au Pakistan, l’échange de cadeaux et la communication dans la durée conduisent à la survenue de ces mariages.

Wajeeha et Safia font partie de la seconde génération de femmes qui vivent en France. Celle qui est arrivée par le biais de la réunification familiale pour rejoindre leurs époux. Elles sont éduquées et aspirent à vivre une vie prospère car leurs maris sont déjà installés. Pour ces femmes, vivre en France est un idéal. Elles pensent que, dès qu’elles seront dans un pays développé, elles pourront utiliser leur potentiel. Mais quand elles atterrissent à Paris, la réalité est très différente.

À quoi cette réalité ressemble-t-elle ? 

Elles deviennent, petit à petit, responsables de tout ce qui concerne la sphère domestique. Elles amènent et cherchent les enfants à l’école et font leur déjeuner. Elles vont au supermarché ou au centre médical. J’ai vu énormément de belles-filles très éduquées rester à la maison. En France, elles sont limitées et dépendent de leur mari. Quelques-unes souhaitent travailler et poursuivre des études supérieures, mais des contraintes structurelles telles que la langue et les différences d’éducation les empêchent d’accéder au marché du travail. Leur éducation et tout leur capital social ne sont pas reconnus.

Les époux pakistanais nés ou ayant grandi en France, eux, vont au travail, sont dehors. Ils hésitent à laisser leur conjointe entrer sur le marché du travail ou poursuivre des études. Leurs principales préoccupations sont l’éducation et la socialisation des enfants, la prise en charge des personnes âgées et l’entretien du foyer.

Paradoxalement, en France, ces femmes mènent des vies beaucoup plus traditionnelles qu’au Pakistan.

Ne sont-elles finalement pas déçues de ne pas pouvoir travailler ? 

Les jeunes épouses sont parfois satisfaites de ne pas travailler et d’accord avec le fait d’être « traitées comme des reines » par leur conjoint, comme le dit Wajeeha.

Elles idéalisent le rôle de leur mari. Il est le soutien de famille, celui qui va apporter à ses membres tout ce dont ils ont besoin.

Cependant, ce ressenti se transforme en anxiété quand les enfants sont grands. Des années de routine, à prendre soin des autres et à effectuer un travail émotionnel genré, les rendent vulnérables dès qu’il s’agit d’entrer sur le marché du travail ou d’accéder à l’enseignement supérieur.

 

Propos recueillis par Nathalie Hof