Maëlle G. 13/06/2025

2/2 « Apprendre à vivre avec la douleur »

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Maëlle pensait que son beau-père était son pilier, il était en fait son bourreau. Victime d’inceste, la jeune femme porte encore les stigmates des agressions.

Petite, je me sentais en décalage et j’avais peu de copains. Ma famille était mon cocon. Bien qu’elle soit recomposée, elle était là. Ma mère et mon beau-père étaient mes principales sources de bonheur. Je les aimais plus que tout. Et je me disais qu’eux aussi.

Ma maman avait le pouvoir de me changer les idées dès que j’allais mal. Elle pouvait transformer la terre en or de ses propres mains à mes yeux. Mon beau-père, c’était le papa que j’avais toujours rêvé d’avoir. Il m’a appris à jouer aux jeux vidéo, à rire de moi-même, à communiquer, à me sentir à l’aise.

Ma mère disait toujours qu’elle avait deux enfants, quand elle parlait de mon beau-père et de moi. Nous faisions les 400 coups ensemble et la faisions « tourner en bourrique », comme elle aimait le dire. Je riais aux éclats et je m’endormais le soir dans ce berceau d’amour. J’étais le bijou de ma famille. Je dansais sous la pluie en toute saison. 

Avec mon père, c’était plus compliqué. Je ne supportais plus nos disputes dès que je le voyais. Pour ne pas inquiéter mes proches, je souriais devant eux et je pleurais souvent en secret. Pour ne pas parler, j’ai décidé de me couper. C’est à cette époque-là que ça s’est gâté.

Hôpital pédopsychiatrique à 12 ans

Ma mère m’avait acheté une robe blanche avec des fleurs bleues. C’était exceptionnel. On n’avait pas beaucoup d’argent. Cela aurait dû réjouir tout le monde. Sauf qu’à ce moment-là, ma maman a vu toutes les traces de souffrance sur mon corps. Elle a crié. Beaucoup. Elle a même failli me frapper. 

Son conjoint a observé toute la scène depuis le fond du salon. Ma mère lui a dit : « Si elle se sent mal, elle n’a qu’à le dire, sinon elle se débrouille. » Je suis retournée dans ma chambre. Quand je suis redescendue, c’était comme s’il ne s’était rien passé. Et nous n’en avons plus jamais parlé.

Deux mois plus tard, j’ai fait une première tentative de suicide. Les médicaments n’ont pas eu raison de moi. Un séjour en hôpital pédopsychiatrique à 12 ans, ce n’est pas un rêve pour un enfant. Pas plus que les anxiolytiques. À l’époque, ma consolation venait des brioches au Nutella que mon beau-père me ramenait en cachette. 

Suite à cet épisode, pensant que le problème venait de mon père, je ne l’ai plus revu. Mon beau-père était toujours là pour moi. Il était mon sauveur, le seul qui m’acceptait comme j’étais. Je n’avais peur de rien quand il était avec moi. Et les choses allaient mieux avec ma maman.

« Il t’a juste confondue avec moi »  

Nous sommes partis voir ses parents dans le sud. Les montagnes et les cascades me faisaient me sentir à ma place. Les randonnées me rendaient fière de moi. Ce fut l’un des meilleurs séjours de ma vie. 

Au retour, nous avons fait une escale chez mes « beaux grands-parents », comme j’aimais les appeler. Un matin, mon beau-père est venu me faire un câlin, comme à notre habitude. Sauf que cette fois-ci, cela a pris une autre tournure. Tétanie, peur, dégoût, mort. Cet homme, en qui j’avais toujours eu confiance et que j’appelais quasiment papa, était en train de me violer. 

Il m’a fallu du courage pour crier, me débattre et fuir face à un monstre qui faisait trois fois ma carrure et mon poids. Je suis directement partie me réfugier auprès de ma mère et je lui ai tout raconté, en espérant qu’elle allait me protéger. « Tu deviens une femme, c’est normal. » ; « Il t’a juste confondue avec moi. » ; « En même temps, tu as vu comment tu t’habilles ? » Ces phrases résonnent encore dans ma tête. J’étais détruite, morte de l’intérieur. 

En troisième, j’ai changé de collège, de couleur de cheveux. Hypersexualisation, mutilation, anorexie… Je ne me rendais même pas compte que je me tuais. À l’époque, je crois que j’aimais me faire souffrir. Je me disais que si je parlais de ce que mon beau-père m’avait fait, il allait encore m’étrangler. 

J’ai quand même décidé d’en parler à ma professeure d’espagnol qui avait compris qu’il y avait un souci. Je la remercie encore aujourd’hui. Les gendarmes sont venus me chercher pour me mettre en sécurité. Les mois ont passé. Le foyer m’a fait du bien. J’étais la plus vieille. Je considérais les autres comme mes petits frères et petites sœurs. J’ai fait de belles rencontres. 

J’apprends chaque jour à recommencer à vivre, malgré les marques, encore récentes et visibles, et les cauchemars qui me suivent dans mon sommeil. Aujourd’hui, j’ai des flashbacks des nuits où mon beau-père avait déjà tenté de me violer quand j’étais toute petite aussi. 

On ne peut pas guérir. On peut apprendre à vivre avec la douleur. Je me sens seule, très seule. Même en étant entourée, j’ai l’impression d’être la pièce rapportée, de toujours déranger et que je ne pourrais jamais être aimée si je ne m’aime pas.

Faire face à son agresseur au tribunal 

J’ai mis des années à comprendre que je n’avais pas des troubles psychologiques pour rien. Mon corps essayait de me faire comprendre que quelque chose n’allait pas. Aujourd’hui, je reparle à mon papa. 

Mon beau-père n’a toujours pas été condamné. Je dois me confronter à lui au tribunal après cinq longues années. La dernière fois que j’ai croisé ma mère, c’était au tribunal. Je revois encore son visage. Son dernier « je t’aime » sur ses lèvres. Mais je ne me souviens plus du son de sa voix. 

Cette histoire est la mienne. Ce combat également. C’est aussi celui de milliers de femmes auxquelles je pense très fort chaque jour, en refaisant le monde, encore seule dans ma chambre, à 18 ans. Et, depuis quelques mois, je danse à nouveau sous la pluie.

Maëlle, 18 ans, étudiante, Brest

Crédit photo Pexels // CC Mart Production

 

À lire : « On ne parle pas de ces choses-là »

couverture du roman graphique "On ne parle pas des choses-là", de Marine Courtade.« Auguste m’a violée quand j’étais petite. Et je ne suis pas la seule », peut-on lire dans On ne parle pas de ces choses-là, un album-témoignage écrit par Marine Courtade, victime d’inceste dans son enfance. Illustré par Alexandra Petit, l’ouvrage a paru début avril 2025 aux éditions Casterman.

L’autrice y décortique la fabrique du silence à partir des réponses de ses six oncles et tantes à la question : « Pourquoi vous êtes-vous tus ? » 

Les traumatismes liés aux violences sexuelles étaient déjà au cœur du travail de Marine Courtade, grande reporter depuis plus de dix ans. Elle a notamment réalisé Mauvais souvenir, un documentaire qui donne la parole à des enfants né·es des viols commis pendant le génocide au Rwanda 20 ans auparavant. Ce travail lui a valu de figurer parmi les finalistes du prix Albert-Londres en 2013. En France, elle a réalisé un reportage radio sur le « Groupe mineurs », une unité de la police nationale qui traque les cyberpédocriminels. En Ukraine, elle a documenté les crimes sexuels de guerre.

Un dossier de recommandations de films, de podcasts et de lectures, pour enfants notamment, figure à la fin de ce roman graphique. Portée par son souci de prendre du recul et de comprendre le chemin qu’il reste à parcourir pour la société, Marine Courtade y publie également des entretiens qu’elle a menés avec l’anthropologue Dorothée Dussy, la psychiatre Muriel Salmona et l’historienne Fabienne Giuliani.

« C’est le silence qui entoure l’inceste qui empêche de voir son ampleur et sa violence », écrit-elle dans ce récit. Son enquête, essentielle, contribue à le briser.

Isabelle Maradan

Crédit photo Alexandra Petit, Marine Courtade © Casterman 2025

Slash L’enfance incestée, récit 1/2 : « C’est pas grave, c’est papy » 

Amira a été victime d’inceste. Elle avait 4 ans quand son grand-père a bouleversé son enfance. Elle vit aujourd’hui avec plusieurs troubles psychiques et se bat quotidiennement pour se reconstruire.

Tu es ou as été témoin ou victime de violence ? 

Tu es en danger ? Appelle le 17 ou le 112 (police et gendarmerie).
Tu as des difficultés pour parler ou entendre ? Tu peux contacter par SMS le 114 pour solliciter les secours.

Tu es mineur·e et victime de violences ? Contacte le 119. Le service est ouvert 24h/24, 7j/7. Tu peux aussi contacter ce numéro en langue des signes française du lundi au vendredi de 8h30 à 19 heures et le samedi de 9 heures à 12 heures.

Tu as été victime de violences sexuelles pendant ton enfance ? Une personne de ton entourage a été victime de violences sexuelles pendant son enfance ?

La Ciivise (Commission Indépendante sur l’Inceste et les Violences Sexuelles faites aux Enfants) propose un numéro d’écoute : le 0805 802 804 depuis l’Hexagone et le 0800 100 811 depuis les outre-mer.

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