1/2 « C’est pas grave, c’est papy »
J’ai su bien plus tard que le jeu que papy aimait tant avait un nom : l’inceste. Tout a commencé lorsque j’avais 4 ans. Papy et moi passions beaucoup de temps ensemble avec mon frère et ma mamie. Des après-midi entières à rigoler, à jouer, à se promener… Une famille comme tout le monde aurait pu en rêver.
Mon grand-père, en qui j’avais confiance, était aimant. Un peu trop parfois… Ça a commencé par des câlins, puis des bisous, mais ça a très vite tourné aux caresses. Des caresses au niveau de mon entrejambe.
Je ne comprenais pas. Je savais que ce n’était pas normal, mais je me disais aussi : « C’est pas grave, c’est papy, il m’aime et il ne me fera jamais de mal. » Et un jour, c’est arrivé : il m’a fait mal. En prenant un objet et en l’insérant en moi. C’était la fois de trop.
Une petite vie tranquille, une mort intérieure
À 6 ans, j’en ai soudainement parlé à mes parents. Ils m’ont crue et m’ont soutenue jusqu’au bout. Mon grand-père n’a pas fait de prison. Il a bien été reconnu coupable par la justice, mais pas de tous les faits, car tous n’étaient pas vérifiables. Il a continué sa petite vie bien tranquille. Moi, malgré le soutien de mes parents, j’étais morte intérieurement. Tellement morte qu’à l’époque, mes tentatives de suicide étaient plus nombreuses que mes amies.
J’ai grandi dans l’ombre des traumatismes. Peu à peu, la tempête dans ma tête est devenue ouragan. Elle me jetait dans mon lit et je ne pouvais plus en sortir. La banalité du quotidien était devenue une suite d’efforts insurmontables.
J’étais dans un état misérable. J’ai tenté d’atténuer ma souffrance en dessinant sur mon corps au Gillette. En commettant l’irréparable. En vain. J’ai donc fait beaucoup de passages aux urgences pour des scarifications trop profondes ou des tentatives de suicide.
J’ai également développé des troubles psychiatriques : trouble de stress post-traumatique, trouble des conduites alimentaires, trouble de la personnalité borderline… J’ai fait plusieurs séjours en clinique et en hôpital psychiatrique.
Bien que proche du berceau, j’étais déjà trop proche du cercueil. Étant tombée dans l’anorexie mentale, principalement liée à mes traumatismes d’enfance, mon corps était à bout. J’enchaînais les comportements compensatoires : vomissements, hyperactivité, laxatifs. Je n’avais plus de contrôle sur ma vie alors j’espérais en trouver dans mon assiette. Perte de cheveux, joues creuses, aménorrhée, anémie, problème thyroïdien… et j’en passe.
Le trouble de la personnalité borderline m’en a fait voir de toutes les couleurs. Passant d’un extrême à un autre, me sentant vide, je voyais comme seule issue la mort. Mais j’ai continué les suivis : psychiatre, psychologue, médecin, nutritionniste.
Entendue, crue et soutenue
Contrairement à beaucoup de femmes, j’ai eu la chance d’avoir été crue et entendue par la justice. Le soutien de mes parents a été constant. Au début, il s’accompagnait de phrases comme « c’était un homme bien malgré tout », mais il s’est fortement renforcé lors de ma chute aux portes de l’enfer. Sans eux, mais surtout sans mon frère, je ne serais sûrement plus de ce monde.
Mon frère, ce petit homme fort, la prunelle de mes yeux, mon âme-sœur, a toujours été là pour moi. Dès son plus jeune âge, il a été confronté aux agressions sexuelles que mon grand-père me faisait subir. Je lui racontais tout dans les moindres détails. Si c’était à refaire, jamais je n’exposerais de telles horreurs à un petit garçon. Comme il avait peur, il n’en a pas parlé. Aujourd’hui, il qui me protège et, s’il le fallait, il lutterait contre le monde entier pour moi, et réciproquement.
Mes amies ont été et sont encore d’une immense aide. Elles me rappellent tous les jours que je suis aimée, que je suis forte, que je suis plus que ces troubles. Mes proches me font espérer qu’un jour tout ira mieux, que la vie vaut bien la peine d’être vécue et que toutes les personnes de ce monde ne sont pas mauvaises.
À toi qui me lis et qui as pu te sentir concerné·e à un moment donné de mon histoire, sache que tu n’es pas seul·e ! J’ai mis des années à sortir la tête de l’eau. Aujourd’hui, j’ai des hauts et des bas, beaucoup de séquelles, mais je suis stabilisée. J’ai encore beaucoup de chemin à faire, mais j’y crois !
Amira, 21 ans, étudiante, Brest
Crédit photo Pexels // CC Damir Mijailovic
À lire : « On ne parle pas de ces choses-là »
« Auguste m’a violée quand j’étais petite. Et je ne suis pas la seule », peut-on lire dans On ne parle pas de ces choses-là, un album-témoignage écrit par Marine Courtade, victime d’inceste dans son enfance. Illustré par Alexandra Petit, l’ouvrage a paru début avril 2025 aux éditions Casterman.
L’autrice y décortique la fabrique du silence à partir des réponses de ses six oncles et tantes à la question : « Pourquoi vous êtes-vous tus ? »
Les traumatismes liés aux violences sexuelles étaient déjà au cœur du travail de Marine Courtade, grande reporter depuis plus de dix ans. Elle a notamment réalisé Mauvais souvenir, un documentaire qui donne la parole à des enfants né·es des viols commis pendant le génocide au Rwanda 20 ans auparavant. Ce travail lui a valu de figurer parmi les finalistes du prix Albert-Londres en 2013. En France, elle a réalisé un reportage radio sur le « Groupe mineurs », une unité de la police nationale qui traque les cyberpédocriminels. En Ukraine, elle a documenté les crimes sexuels de guerre.
Un dossier de recommandations de films, de podcasts et de lectures, pour enfants notamment, figure à la fin de ce roman graphique. Portée par son souci de prendre du recul et de comprendre le chemin qu’il reste à parcourir pour la société, Marine Courtade y publie également des entretiens qu’elle a menés avec l’anthropologue Dorothée Dussy, la psychiatre Muriel Salmona et l’historienne Fabienne Giuliani.
« C’est le silence qui entoure l’inceste qui empêche de voir son ampleur et sa violence », écrit-elle dans ce récit. Son enquête, essentielle, contribue à le briser.
Isabelle Maradan
Crédit photo Alexandra Petit, Marine Courtade © Casterman 2025
Slash L’enfance incestée, récit 2/2 : « Apprendre à vivre avec la douleur »
Maëlle pensait que son beau-père était son pilier, il était en fait son bourreau. Victime d’inceste, la jeune femme porte encore les stigmates des agressions.
Tu es ou as été témoin ou victime de violences ?
Tu es en danger ? Appelle le 17 ou le 112 (police et gendarmerie).
Tu as des difficultés pour parler ou entendre ? Tu peux contacter par SMS le 114 pour solliciter les secours.Tu es mineur·e et victime de violences ? Contacte le 119. Le service est ouvert 24h/24, 7j/7. Tu peux aussi contacter ce numéro en langue des signes française du lundi au vendredi de 8h30 à 19 heures et le samedi de 9 heures à 12 heures.
Tu as été victime de violences sexuelles pendant ton enfance ? Ou une personne de ton entourage ?
La Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) propose un numéro d’écoute : le 0805 802 804 depuis l’Hexagone et le 0800 100 811 depuis les outre-mer.