Mes demi-frères, hors système
Jérémy est né en 1991, Vincent en 1994. Ce sont les deux premiers enfants de mon père et donc officiellement mes demi-frères. Pour moi, ce sont mes frères. Après avoir rompu avec leur mère en 2000, mon père a voulu la garde de ses enfants, mais il ne l’a pas eue.
Mes frères n’ont pas eu une enfance joyeuse. Leur mère était absente et constamment alcoolisée. À leur tour, ils sont tombés dans l’alcool et la drogue.
Entre 16 et 18 ans, Jérémy a pris la décision de ne pas « entrer dans le système ». Il ne comprenait pas pourquoi il fallait travailler pour gagner de l’argent. Il n’aimait pas les règles. Vincent l’a suivi.
Mes frères ont beaucoup voyagé. Ils ont passé leur vie dans la rue. Le plus souvent en Normandie, où leur mère vit, mais aussi à Grenoble. Des endroits où il fait froid l’hiver. Parfois, ils dormaient chez des copains. À Grenoble, Jérémy a créé une petite maison pour les sans-abris qui se nomme Le Tremplin.
« Leur histoire m’échappe »
Je considère mes demi-frères comme mes vrais frères parce que mes parents ont toujours été là pour eux. Ils n’ont pas fait de différence entre eux et moi qui suis arrivée en 2004.
Ma relation avec eux quand j’étais petite reste un peu floue. Plus je grandissais, plus mes frères m’appelaient pour prendre de mes nouvelles. C’était leur manière de me protéger. Ils cachaient leurs conditions de vie pour ne pas m’inquiéter. Je ne les voyais que pendant les vacances scolaires.
Mes parents n’en parlaient pas beaucoup. Petite, je me racontais des choses à partir des conversations au téléphone ou pendant les repas de famille. Mais aujourd’hui encore, leur véritable histoire m’échappe. Je ressens beaucoup de frustration et de tristesse, car je ne connais pas vraiment mes frères comme je le voudrais.
Après son départ
J’ai toujours voulu les aider. Enfant, je me disais : « Quand je serai plus grande, je leur demanderai d’habiter chez moi. » Maintenant, je me dis qu’ils n’avaient pas forcément besoin de moi. C’est moi qui avais besoin d’eux. Quand j’entends mes copines me raconter leur relation avec leurs frères, je me dis que j’aurais aimé être à leur place. Je ressens une forme de colère.
Jérémy nous a quittés à l’âge de 31 ans le 24 septembre 2022, à la suite d’une rupture d’anévrisme. Les médecins ne savent pas si cela vient de son mode de vie ou d’un problème génétique.
Après son départ, je me suis vraiment intéressée au mode de vie de la rue. Aider les sans-abris à avoir un moment de bonheur dans leur vie est important pour moi. Leur donner quelque chose m’accompagne dans mon deuil.
Chloé, 20 ans, étudiante, Brest
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« À la rue, le simple fait qu’une personne te parle, ça fait du bien », par Olivier, 20 ans. Avoir froid. Vivre avec les rats. Se doucher avec des bouteilles en plastique dehors, à 4 heures du matin. Il a vécu le pire avec ses parents pendant sept mois. Et le meilleur… de la solidarité.