Sur la route du bled
Mi-juillet. Comme chaque année, le moment tant attendu arrive enfin : le départ pour le bled ! Nous sommes tous réunis chez moi à Gennevilliers, le point de départ de ce périple. Entre cousins, cousines, oncles et tantes. On est nombreux, comme une équipe de foot.
Il y a les sourires. Il y a les rires. L’impatience. On demande toutes les deux secondes : « Quand est-ce qu’on part ? » Bien sûr, il y a les cris de mon père et de mes oncles qui s’énervent parce qu’ils n’arrivent pas à faire rentrer tous les bagages dans le coffre, ni à bien sangler les jet-skis aux remorques. Pendant ce temps-là, nous les garçons, on aide nos pères à charger tout ça. On admire comment ils rangent le coffre minutieusement. Rien ne dépasse. Les trois voitures sont à ras du sol.
On part au bled au minimum une fois par an depuis ma naissance. Avec la famille de mon père, on fait la route tous ensemble dans la meilleure ambiance du monde. La famille de ma mère nous rejoint ensuite en avion.
La Tunisie, c’est mon pays, et c’est avant tout celui de ma mère. Elle est née en France mais y passe toutes ses vacances depuis son plus jeune âge. Mon père lui n’avait aucun lien avec la Tunisie avant de rencontrer ma mère. Il est d’origine algérienne. C’est elle qui leur a fait découvrir ce pays, à lui et à sa famille.
Cache-cache et Uno sur le bateau
Dix minutes avant le départ, ma mère et mes tantes sortent de la cuisine avec des glacières remplies à bloc. Le plus important, ce sont les théières pour que les maris ne s’endorment pas au volant.
À 21h30, c’est l’appel à la prière de la tombée de la nuit : le signal de départ. Tout le monde est installé dans les voitures. On peut partir. On s’arrête sur les aires de repos. On joue avec tous les cousins et cousines… Après dix heures de route, on arrive enfin à Marseille. Vingt autres membres de la famille, qui habitent à Lyon, nous rejoignent. Ils sont installés dans quatre autres voitures. On fait la traversée tous ensemble.
Les choses sérieuses commencent. Direction la porte de départ pour la Tunisie, la porte Beauséjour. C’est le début d’une très longue attente. Contrôles de douane, vérification du chargement, récupération des billets et, le plus long : l’attente de l’arrivée du bateau. Pendant ce temps-là, on est tous en dehors des voitures, en famille, à rigoler et s’amuser.
À 14 heures, c’est l’embarquement. Chacun dans sa voiture, on monte sur le bateau. On récupère quelques affaires pour la traversée qui dure 24 heures, de Marseille à Tunis. Avec tous les cousins et cousines de tous les âges, entre 2 et 21 ans, on fait tout et n’importe quoi. On joue au Uno, aux cartes, on fait des cache-caches, on met de la musique, on chante, on danse en attendant l’ouverture du self pour dîner. Après avoir dîné, veillé et dormi, tout le monde se réveille pour se préparer. L’arrivée en Tunisie est proche.
À 14 heures le lendemain du départ, on est appelés à tous rejoindre nos voitures aux ponts inférieurs pour la descente. Puis on passe les contrôles. Les vraies vacances commencent.
Plage et restos en famille
Encore une heure de route jusqu’à Sousse, la station balnéaire de Tunisie. C’est la plus belle plage de Tunisie, un sable blanc et fin et une eau turquoise. C’est là qu’on va depuis toujours. C’est aussi là que l’on retrouve mes grands-parents, partis début juillet en avion.
On arrive dans notre grande résidence avec piscines. Cette résidence, c’est un grand promoteur tunisien qui l’a construite. Nous avons tous acheté un appartement dedans. Avoir une maison dans son pays d’origine, c’est sacré.
Pendant ces vacances, c’est à peu près tous les jours la même routine. On se réveille tranquillement. On se met en maillot de bain, puis on sort les jet-skis, les gilets et les bouées. On fait des allers et retours entre l’épicerie du coin et la plage à longueur de journée, musique à fond.
Après avoir bien profité de la journée entre hommes, on remonte les jet-skis, on va les laver et faire le plein. On monte prendre nos douches pour aller manger au restaurant. On est tous bien habillés avec les premières traces de bronzage, prêts à passer une bonne soirée.
On quitte parfois la ville pendant quelques jours. Soit pour aller se baigner autre part en Tunisie, soit pour aller à Tunis, d’où je suis originaire. À Tunis, il y a toujours la famille de ma mère, ceux qui sont restés et n’ont pas immigrés en France dans les années 1950.
« On se sent chez soi »
C’est un devoir pour moi de rentrer au bled l’été, de connaître mes terres natales et ma famille restée là-bas. Ma mère et ma grand-mère maternelle nous ont transmis à ma sœur, mon frère et à moi, la culture tunisienne par la nourriture, les musiques et la langue. Je sais parler arabe autant que je sais parler français.
Les vacances en Tunisie, ce sont les meilleures de ma vie. Pourtant, j’en ai fait des pays ! Aller au bled ce n’est pas pareil, c’est une sensation inexplicable. On se sent apaisé, on se sent chez soi.
Je n’ai jamais vécu en Tunisie, mais c’est tout pour moi. C’est le pays où j’aimerais finir mes jours et être enterré auprès de mes ancêtres. Alors un grand salut à ma belle nation.
Boubaker, 16 ans, lycéen, Gennevilliers
Crédit photo Unsplash // CC anja.
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